Lettre à S.

Dans ma REPpublique à moi, les vacances ont bien avancé. Encore deux petites semaines et on se retrouvera, tous, un peu inquiets, stressés sans doute. En attendant, on profite encore un peu. On oublie. Et je leur écris.

Salut S.,

J’ai failli commencer cette lettre en te demandant de me pardonner pour le retard. Mais je me dis finalement que toi, tu m’as sans doute déjà oubliée. Et tu as raison. Oublie-moi, oublie-les, oublie-nous, encore quelques semaines, quelques jours.

Oublie donc ces fois où, quand je me promenais dans les rangs pour observer votre travail, vous donner un coup de main si besoin, vous féliciter aussi. Ces fois où, quand je m’approchais de toi, de ton cahier, tu y mettais les deux mains, posées à plat. Tu fermais aussi ton visage, tes yeux, tout.
« Non, maîtresse, j’ai pas fini.
– Ce n’est pas grave S., je venais voir comment tu t’en sortais.
– (Silence). Je n’y arrive pas. »
Et pourtant S., tu savais, tu pouvais, tu aurais du y arriver. Être seule devant ta feuille te paniquait, t’angoissait. Avec la maîtresse debout, juste derrière toi, c’était sans doute bien pire.

Alors moi je voudrais aussi oublier ça. Je voudrais plutôt qu’on se souvienne toutes les deux. Qu’on se souvienne de ce jour où, traînant les pieds, tu es allée jusqu’au tableau. Je te demandais de résoudre, là, devant tout le monde, une multiplication à deux chiffres, seule. J’ai vu cette grimace sur ton joli minois. Et puis je t’ai vue t’appliquer, te concentrer, te déplacer jusqu’aux tables de multiplication affichées un peu plus loin, revenir au tableau, continuer, persévérer, ne pas te laisser perturber par le reste de la classe qui gesticulait, soufflait. Et y arriver. Cette fois-là, et toutes les fois d’après. Oublie le reste, S. et rappelle toi de ça.

Oublie-les aussi, eux, les garçons de la classe. Tes copains, oui je sais. Tes prétendants aussi. Tous, sans exception. Ils étaient tous amoureux de toi. De tes longs cheveux noirs, de ton sourire espiègle et peut-être, aussi, sûrement, de tes compétences en football. Chaque fois, tu étais la seule fille à jouer avec eux, dans la cour. Quand on faisait sport, ils se disputaient tous pour t’avoir dans leur équipe.
Alors oublie tous ces petits papiers interceptés cette année : « Est-ce que tu m’aimes ? », toutes ces conversations, disputes, chamailleries, auxquelles tu ne participais jamais, mais pour lesquelles tu étais concernée.
« Maîtresse, il dit que c’est lui, l’amoureux de S., alors que c’est moi !
– Et S., les garçons, elle en pense quoi ?
– On sait pas. »
Elle en pense qu’elle s’en moque.
Qu’elle veut avoir des copains, c’est tout.

Oublie-nous, S., encore un peu. Profite de Maman, de ta sœur. Je ne te parle pas de Papa parce que je crois que ça ne colle pas trop, entre lui et toi.
« Il s’en fout de moi, quand je vais chez lui maîtresse, il ne me parle même pas, tout le week-end, rien, pas un mot ».
Dis toi que ça changera peut-être, un jour. Peut-être pas.

Oublie tout ça et reviens nous heureuse, reposée, fière et combattante.
Parce que c’est comme ça que tu brilles S.
C’est comme ça que, nous, moi, on ne peut pas t’oublier.

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