Rendez-moi leur sourire.

Dans ma REPpublique à moi, comme dans les autres REPpubliques, on m’a demandé d’é-va-lu-er mes élèves de CP. Pas une option, une obligation. Tout cela est très (trop) sérieux, national, scientifique. Quoi qu’il en coûte.

« Il y en a même qui ont pleuré », m’a dit une collègue tout à l’heure.
Moi j’en ai vu suer.
J’ai vu des yeux se fermer, d’autres se lever en l’air.
J’ai vu des épaules s’affaisser.
J’ai entendu des bouches souffler.
J’ai vu les sourires disparaître.
Je les ai vus, un à un, tomber.

Pourtant, en haut du petit cahier que je tenais dans les mains, il y avait écrit le mot « confiance ». En entier, ça faisait « l’école de la confiance ». Alors je leur ai répété plusieurs fois : « C’est presque fini, faites-moi confiance ». Pendant quelques secondes, les yeux se remettaient, un peu à briller. Quelques secondes seulement. Parce qu’il fallait continuer, recommencer.

Ne pas aider.
Ne pas souffler.
Lire la consigne telle quelle.
Ne surtout pas exagérer.

« Bbbbbbbbballon, lapin, montagne, renard. Quel est le mot dans cette liste qui commence comme bbbbbbbbiberon ? »

Oui, bon, bah, je ne leur ai pas donné la réponse-là.
J’ai juste essayé de les remotiver.
J’ai tenté de m’approcher de M. pourtant si heureux, si souriant d’ordinaire. M., il sait déjà presque lire. Mais là, il n’y arrivait pas, il ne pouvait plus.
Je lui ai expliqué, comme aux autres, que je n’avais pas le choix.
Que tous les enfants de CP de tout le pays étaient, maintenant, en train de faire comme eux.

« A quoi ca sert, maîtresse ? ».

Joker. Exercice suivant.
J’aurais bien répondu que ça sert à vous faire perdre toute la confiance que vous aviez si bien gagnée ces trois dernières semaines. A vous broyer, vous humilier.
Mais ça aurait été sans doute exagéré.

Sans exagérer pourtant, ils en sont sortis abattus, fatigués, démotivés.
Et j’en suis sortie frustrée.
Aucune des réponses inscrites sur ces cahiers, aucun des items que je suis tenue désormais de saisir sur une plateforme aux hébergements douteux, rien de tout ça n’est à l’image de ce dont ils sont capables, de ce qu’ils sont et de ce qu’ils seront ces prochains mois.

Si seulement on ajoutait une page, à la fin de ce cahier.
Une page avec un grand cadre noir.
Là, on y collerait une photo, juste une.
Celle du sourire de D. quand il a réussi à lire la syllabe qui était au tableau.
Ca ne suffit pas ?
A moi, ça me suffit.
Largement.
Amplement.

7 réflexions sur « Rendez-moi leur sourire. »

  1. Encore une chronique vraie Anouk…

    Et oui, à quoi ça sert tout ça maîtresse ?

    Des fois je ne regrette pas de ne plus être en activité … de ne plus être obligé d’appliquer des consignes que je réprouve … Quoique, il m’est arrivé jadis d’adapter des évaluations pour mes élèves en situation de Handicap à partir de livrets fournis … C’était idiot, n’est ce pas …

    Mais là ce n’était pas vraiment le résultat aux test qui comptaient, c’était juste que je considérais qu’ils devaient avoir les même droits que les autres, que leurs frères et sœurs qui passaient ces évaluations…
    Et les résultats ne sont pas sortis de la classe …

    Tiens ça me fait penser à cette vidéo … Je ne sais pas si je te l’ai déjà proposée…

    [youtube=https://www.youtube.com/watch?v=D1H7uyWL4bU&w=640&h=360]

    @t… alain

  2. Même ressenti…
    J’entame ma 4ème semaine de boulot après près de deux mois de vacances, et je vais râler… Eh oui !! Moi, prof, désignée feignasse par une grande majorité de mes concitoyens, je vais pousser mon coup de gueule !..
    Si vous n’avez pas entendu parler des évaluations nationales que doivent passer les élèves de CP et de CE1 en ce début d’année, je vais vous en toucher deux mots (enfin, deux…..) : ces évaluations nous sont imposées par les hautes sphères. Des gens très importants et qui savent tout sur tout… Enfin… tout sauf ce qui se passe dans une classe avec des dizaines de petitous de 6 ans qui arrivent tout juste de la maternelle… Parce qu’il faut vraiment être déconnecté de la réalité pour pondre des évaluations pareilles… Des exercices avec un temps de passation de 20 secondes, 10 secondes… et qui se répètent une dizaine de fois chacun…
    À la première ligne, j’avais une élève qui pleurait déjà… Cette grande feuille avec tous ces exercices, ça fait flipper !… Je stoppe le processus, je la rassure, les autres élèves aussi (et je suis moi-même rassurée sur la solidarité de mon groupe classe, chose non négligeable au regard de mon désespoir face à ces évaluations à faire passer), nous rassurons donc B. et poursuivons à la ligne 2. Mince, deux élèves pleurent !… Rebelote : on rassure, on encourage, et je finis par leur dire mon sentiment profond… « Les enfants, vous savez, en réalité moi ils ne me plaisent pas ces livrets d’exercices. C’est mon grand chef qui m’oblige à faire passer ces évaluations, alors on les passe. Donc que ce soit juste ou faux, ce n’est pas important… Par contre, on va faire comme d’habitude : on va s’appliquer et réussir ce qu’on sait faire d’accord ?! » Rassurés et libérés de cette pression invisible mais bien réelle, nous avons terminé le premier livret en 1h30, à la cool, mais bon, pas si cool que ça !… Les consignes donnaient un temps de passation de 20 minutes… En rêve, les hautes sphères !!! Je vous mets au défi de faire avaler ce truc infâme en 20 minutes à mes petits protégés sans écrabouiller le peu de confiance en eux que nous bâtissons jour après jour !!!… Pas touche à leur bien-être, à mes loulous !…
    Un coup de gueule pour ça, me direz-vous ?!… Nooooon !!… Le meilleur est à venir…
    Nous devions faire passer ces 3 livrets (eh oui, il m’en reste deux…) entre le 17 et le 28 septembre… Ah !!… problème, nous avons reçu les livrets le vendredi 21 après-midi… Du coup, pas de passation avant aujourd’hui, lundi 24.
    Maintenant, après ma journée de travail harassante en classe (cervicales bloquées, minerve, migraine, un cocktail détonnant !), je trouve le courage de rentrer les résultats du premier livret sur le site internet dédié. Il s’agit de restituer toutes les réponses des élèves (1428 réponses pour le livret 1 et je suis chanceuse, je n’ai QUE 21 élèves…) ! Et là, pas de bol, je n’ai pas le code qui me permet de me connecter !… Je ne pourrai donc pas faire ça au fur et à mesure des passations… Les collègues qui ont reçu livrets et codes dans les temps parlent de plusieurs looooongues heures pour la saisie des réponses…
    Vous voulez la cerise sur le gâteau ?! Nous avons jusqu’au 28 septembre, soit vendredi, pour saisir les résultats avant la fermeture du serveur. Sachant que je ne sais pas quand j’aurai mes codes, que si je les ai avant mercredi (improbable !!!) je n’aurai pas terminé les passations, et que nous avons une réunion à l’école jeudi soir, on fait comment pour répondre aux exigences de ces messieurs-dames des hautes sphères ?!?! [J’ai appris depuis que le délai est au 12 octobre…]
    Tout ça pour des évaluations à la noix, qui sont trop difficiles et qui vont servir à dire « les élèves de CP sont nuls, l’école maternelle ne sert à rien! », et encore « les méthodes d’enseignement sont mauvaises, terminée la liberté pédagogique ! »… Berk !! J’en ai la nausée…..
    Franchement dégoûtée de tout ça… En dep’ comme on dit !…
    Qu’il n’y en ait pas un qui s’amuse à me dire qu’on est toujours en vacances et qu’on a la planque à rien faire de la journée !!
    Mince !
    (Pétard j’ai écrit tout ça ?!…)

  3. Bravo Maîtresse, on sent dans votre post l’attention, l’amour que vous portez à vos petits élèves. Ça fait du bien au cœur de vos élèves comme à celui de leurs parents. C’est ce qui leur donne force et énergie pour continuer.
    Savez-vous que notre ministre de l’Education nationale (qui avant de faire un séjour lucratif à l’ESsec était déjà en charge des programmes au ministère) a mis sa fille dans une école privée pour enfants de diplomates à 8000€ l’année (EAB) depuis la petite section. Cela prouve la confiance qu’il vous accorde à vous professeurs des écoles de la République et aux programmes qu’il élabore….

  4. Pourquoi les avoir fait alors, si ça fait tant de mal aux enfants ?? Rien ne vous obligeait, pas de parution au BO, pas de circulaire du ministère, juste des IEN qui mettent la pression en bons petits soldats (pas tous d’ailleurs!). Des évaluations inadaptées, faites par des bureaucrates qui n’ont jamais vu un enfant, qui mettent les élèves (même les bons, alors que dire des autres !) en difficulté. Et tout ça pour des statistiques, et en aucun cas pour aider les enfants et les enseignants. Alors à quoi ça rime ? Tout le monde râle mais tout le monde fait. Un peu de libre arbitre et de courage, que diable !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.