Dans ma REPpublique à moi, on laisse parfois entrer les bruits de l’extérieur. Les bruits, les angoisses et les peurs. On les laisse entrer, on en parle et on essaie de les apprivoiser, puis de les oublier. Sauf quand on nous oblige à les cultiver.
Il y a D. qui se cache les yeux. Il a les deux mains posées sur son visage et a enfoui sa tête entre ses jambes accroupies.
Juste à côté, A. est pliée de rire. Rire nerveux, elle n’arrive pas à s’arrêter, malgré mes « Chchchchch… » à répétition.
S. me regarde, suppliante et répète « C’est bientôt fini, maîtresse ? »
Je n’en sais rien. Je suis comme vous, j’attends.
Moi aussi je suis accroupie.
Moi aussi j’ai envie de rire, de supplier et de me cacher le visage.
Personne ne m’avait dit, quand j’ai passé le concours de professeur des écoles, que je me retrouverai un jour accroupie sous un lavabo avec douze enfants de six ans.
Ça devait arriver.
Bientôt dix minutes qu’on est là, M. a envie de faire pipi.
Forcément, tous les autres aussi.
Je leur dis d’attendre, d’essayer de se retenir, un peu.
Que si on se lève, « ILS » vont peut-être nous voir, nous entendre.
« Les méchants maîtresse ? ILS sont là pour de vrai ? »
Non mais on fait comme si, alors on ne se lève pas.
On fait comme si, alors on est venu se cacher là, sous le lavabo.
On a fermé la porte à clé, mis une table devant.
Si les méchants arrivent, ils trouveront la porte fermée alors ils feront demi-tour.
« Tu es sûre maîtresse ? Parce que les méchants vraiment méchants, ils donnent des coups de pied dans la porte ou alors avec leur pistolet, ils tirent dessus et c’est bon.
– Ce n’est pas ce qui est écrit dans notre scenario, D., alors tu remets ta tête dans tes mains et tu attends. »
Quelqu’un tente d’ouvrir la porte.
C’était prévu, on a demandé à des parents d’élève de venir « jouer » les terroristes.
Enfin, d’essayer de nous trouver, juste.
C’était prévu mais je sursaute quand même.
Les enfants aussi, forcément.
Surtout qu’elle appuie plusieurs fois sur la poignée, la « maman-méchante-terroriste-pour de faux ».
Elle repart.
« Tu vois, D., « ILS » sont partis ».
Quinze minutes. J’envoie un SMS à la directrice. Elle me dit d’attendre encore un peu.
La tension baisse, les enfants se relâchent.
Je le sais parce que je le sens.
Le concert de pets est officiellement entamé.
Ça fuse dans tous les coins.
Je vais faire un malaise.
« Maîtresse ?, chuchote A.
– Oui ?
– Comment on fait si les méchants ils viennent un jour pendant qu’on est en récréation ?
– Ça n’arrivera pas A., ça n’arrivera pas.
– Oui, mais quand même, comment on fait ?
– ….. »
C’est vrai ça, comment on fait ?
Et s’il y a un enfant qui est parti aux toilettes au moment ou l’alarme intrusion se déclenche ?
Et s’ILS tirent avec leurs armes sur la poignée pour ouvrir la porte ?
Et s’ILS enlèvent un enfant et le prennent en otage ?
Et s’ILS tirent à vue, dans les fenêtres, dans les portes ?
L’air commence sérieusement à me manquer.
Le SMS arrive, on peut enfin se lever.
Remettre la table, rouvrir la porte.
Aller aux toilettes.
S’asseoir sur le banc et en parler.
Soulager les angoisses, mettre des mots sur la panique.
Se féliciter. Les féliciter.
Les rassurer.
Mais si on arrêtait d’y penser ?
Si on arrêtait d’imaginer ?
Si on se faisait confiance ?
Si on se disait juste qu’on se comporterait comme des humains, protégeant d’autres êtres humains ?
Et si on arrêtait d’avoir peur ?