Dans ma REPpublique à moi, les vacances approchent. On ne s’enverra pas de cartes postales, on ne s’écrira pas de vraies lettres avec du sable dedans. On va se quitter, quelques semaines. Pendant ce temps-là, c’est ici que je vais leur écrire, à tous, un à un.
Salut K.,
Je vois que tu as déjà entamé tes vacances. Je ne t’en veux pas. Tu n’es pas le seul. Tu m’as dit que tu devais partir un peu plus tôt pour profiter de Maman. Après, elle va commencer son nouveau travail alors tu partiras chez Papi.
Elle m’a envoyé un message l’autre jour, Maman.
Un mail, dans lequel elle me remerciait.
Elle n’aurait pas dû.
C’est moi qui devrait la remercier, c’est toi que je devrais remercier.
Je me souviens, il y a un an tout juste. Quand j’ai écrit ton nom pour la première fois sur la liste de mes futurs élèves. Je me souviens de ce que m’avait dit ma collègue.
« Pas facile, K., tu vas voir, il va te donner du fil à retordre ».
Pas facile, non.
Un peu menteur, parfois.
Un peu espiègle, aussi.
Mais tu as grandi K., je t’ai vu, chaque jour, mûrir, apprendre, te corriger.
Je t’ai vu écarquiller les yeux à chaque fois que tu avais compris ce que je venais tout juste de commencer à expliquer.
J’ai vu ton sourire, quand tu terminais les opérations avant les autres.
J’ai vu ta détermination à te reprendre quand tu repartais de mon bureau avec ta feuille, parfois, rarement, bardée de rouge.
Alors oui, il y a cette fois où tu n’as pas voulu dire que c’était toi qui avait lancé cette boulette de papier dans la classe. Cette fois où tes camarades ont attendu que tu te dénonces. Ils t’accusaient, j’attendais, tu pleurais. Tu suffoquais même. Ah ça oui, quand tu pleures, K., ça se voit et ça s’entend. On a attendu longtemps. Il y avait sport, juste après. Enfin, il y aurait dû y avoir sport. Tu n’as pas eu le courage de te lever et de me dire « Oui, c’est moi, maîtresse, pardon ». Tu as préféré dire que c’était S., et puis que non, c’était Y. Et tu pleurais. Je savais que c’était toi. Et tu savais que je savais que c’était toi. Mais le mensonge était depuis trop longtemps ton armure, ta couverture, ta cachette secrète. Alors tu as cru que tu pourrais, encore, aller t’y réfugier et que tout ça passerait.
Tout ça est passé. Peu à peu. Tu as trouvé un autre refuge, une autre grotte, peut-être. Mais tu n’as plus menti. Je t’ai même vu assumer, une fois, puis deux, puis à chaque fois.
Oh, tu as bien essayé de nuancer, au début.
« Pourquoi tu as pincé S. ?
– Non, mais je ne l’ai pas pincée, c’est que, je me suis approché, j’ai failli tomber, alors que je me suis retenu et je me suis accroché à son bras et…
– K. …. ?
– Oui, maîtresse, pardon. Pardon S., je n’aurais pas du te pincer, je m’excuse ».
Tu te souviens du jour où je t’ai fait les gros yeux à cause de ton cartable ? Tu es arrivé, fier comme un coq, avec ce nouveau cartable que Maman venait de t’acheter. Tu n’osais même pas le faire rouler dans le couloir pour ne pas l’abîmer. Devant la porte de la classe, tu l’as soulevé, pour que tout le monde le voit bien. C’est là que je t’ai fait les gros, très gros yeux.
« Comment tu oses faire ça K. ?
– Quoi maîtresse ? C’est mon nouveau cartable, Maman me l’a acheté hier.
– Tu n’as pas le droit K.
– … ?
– C’est un cartable du PSG. Je ne peux pas tolérer ça dans ma classe. Ici, on supporte l’OM ! »
Toute la classe a éclaté de rire. Toi aussi, tu as souri quand tu as vu que je plaisantais.
Je pensais la blague terminée.
Jusqu’à ce jour de printemps, de longues semaines plus tard, où tu es venu à l’école avec une nouvelle tenue. Tee-shirt, short, casquette. Bleu et blanc. Aux couleurs de l’OM. Tu t’es planté devant moi, le sourire jusqu’aux oreilles.
« C’est pour toi, maîtresse, einh, juste aujourd’hui, pour te faire plaisir. »
Et puis il y a eu Papa. Qui n’était plus là. Puis qui est repassé te voir, à la kermesse. Puis qui est reparti. Puis qui reviendra, tu verras. Ou pas.
Alors voilà K., j’espère que tu passeras de belles vacances. Avec Papi, avec Maman et avec je ne sais qui d’autre. Tu vois, là, tu n’as plus besoin de choisir entre le PSG et l’OM. Ils sont tous ensemble sur le terrain, comme si on y était tous les deux, quoi.