Bref, j’ai emmené mes élèves à la piscine.

Dans ma REPpublique à moi, on apprend à évoluer dans toutes sortes de milieux, plus ou moins accueillants, plus ou moins hostiles…

Les choses avaient pourtant l’air de bien commencer. Dans le couloir devant la classe, à 8h35, dès que le premier est arrivé, je suis allée derechef vérifier qu’il avait pris son sac. Je l’ai ouvert et j’ai tout sorti : serviette c’est bon, maillot de bain aussi, bonnet de bain le voilà. Parfait, merci, au suivant. Quand les autres sont arrivés en troupeau, j’ai arrêté la revue de détails et me suis adressée au groupe. Levez le doigt ceux qui ont pris leur maillot. Tout le monde, vraiment ? Parfait. Ceux qui ont pris une serviette. Idem. Le bonnet ? Tout le monde a pris un bonnet, vous êtes vraiment surs ? Incroyable, formidable, inattendu. J’ai mimé le bonnet, le maillot et la serviette pour A., mon élève biélorusse. Il a hoché la tête. Ca avait l’air sincère.

Et puis l’heure est arrivée. Il restait moins de dix minutes avant que le bus n’arrive devant l’école. J’ai pensé que ce serait plus commode qu’ils aillent aux toilettes maintenant, parce qu’ensuite, avec les maillots de bain tout ça… Ils y sont allés, s’y sont un peu bousculés, n’ont pas forcément tiré la chasse d’eau, on a failli être en retard et puis ils ont fini par se ranger. On était prêt, dans les temps, je continuais de me pincer pour y croire.

C’est là que M. a levé le doigt : « Maîtresse, j’ai oublié mon sac de piscine chez moi ! ». Je lui ai demandé de répéter. Je lui ai demandé de m’expliquer. J’ai voulu savoir pourquoi il me le disait maintenant. Pourquoi, tout à l’heure, il avait répondu oui à toutes mes questions. Parce que oui, il y a bien un maillot de bain, une serviette et un bonnet dans son sac de piscine mais c’est juste qu’il a oublié son sac de piscine, avec tout ce qu’il faut dedans. Simple. Basique. J’ai emmené M. dans une autre classe, en courant parce que l’heure commençait sérieusement à tourner.

On est montés dans le bus. Comme les CM2 venaient avec nous, mes loulous, impressionnés, n’ont pas moufté. Assis, ceinture attachée sans qu’on ait à les aider, ils regardaient leurs pieds. Ma collègue m’a demandé dans quel vestiaire je préférais aller. J’ai choisi les filles. Je m’en mords encore les doigts. Douze filles de CM2 dans le vestiaire collectif d’une piscine, c’est un peu comme l’enfer, mais avec l’humidité en plus, des cris bien stridents et des « Oh, mais tiens moi la serviette que je me cache » toutes les deux ou trois secondes. De l’autre côté du vestiaire, les filles de CP ont forcément un peu galéré à trouver leur maillot, à ranger correctement leurs vêtements mais j’étais assez fière de les voir si bien se débrouiller.

Le passage à la douche avec le retour des cris stridents que personne n’avait oubliés et nous voilà au bord du bassin. Plus personne ne fait le malin. Une rangée de bonnets de bains colorés, les bras serrés pour essayer de se réchauffer et la peur dans les yeux de mes petits CP en voyant la taille de la piscine dans laquelle on va leur demander de se baigner.

S. est passée la première. Il s’agissait de tenir le bord et d’avancer sur toute la longueur du bassin. Maman m’avait prévenue. S. a peur de l’eau. Elle a mis cinq bonnes minutes à descendre l’échelle et a essayé d’avancer en ne trempant que les jambes, tout le reste du corps allongé sur le rebord. Pas super confortable. Je me suis approchée, j’ai essayé de la faire doucement glisser dans l’eau. Elle a hurlé. J’ai reculé.

Pour l’exercice suivant, le maître nageur a rajouté un obstacle sous lequel les enfants devaient passer, tout en continuant à longer le bord. S. est laborieusement arrivée jusqu’à l’obstacle, l’a longuement regardé, a peut-être essayé de le convaincre de la laisser passer et a finalement décidé de le soulever, pour s’éviter de s’emmerder. J’ai trouvé ça plutôt malin.

Il y a eu ensuite une longue série de nez bouchés. Je m’arrête, je prends une grande respiration, je mets mes deux mains sur mon nez et du coup, je n’ai plus rien pour tenir le bord. Je panique, je me persuade que je vais me noyer, puis je finis par relever la tête, si possible en me cognant dans l’obstacle. Je regarde la maîtresse juste au-dessus avec les yeux d’un rescapé. La maîtresse a décidé d’arrêter les frais après la crise de panique de M. en sortant la tête de l’eau. Bouche ouverte, il en est rentré et sorti de partout. M. a un peu crié, beaucoup gesticulé, son bonnet s’est barré, mais à la fin, il s’est marré et la séance s’est terminée.

Douze filles de CM2 dans un vestiaire collectif de piscine en fait, c’est pire APRES le passage dans l’eau. Parce que mes cheveux, parce que mes collants, parce que je te jure que ce sont mes chaussettes, rends-les moi et parce que s’il te plait, tiens mieux la serviette, t’es sérieuse là, les autres voient tout. J’avais pourtant – un peu – compté sur elles pour venir aider les filles du CP. Résultat : les petites étaient séchées, habillées, coiffées et on a passé dix bonnes minutes à attendre les pré-adolescentes, puis cinq autres à les regarder se bousculer pour accéder à l’un des deux séchoirs qui fonctionnaient.

Une fois dans le bus, je me suis affalée sur mon fauteuil, j’ai regardé ma collègue et je lui ai dit quelque chose comme « plus jamais ». J’ai fermé les yeux et me suis souvenue qu’on y passerait dix matinées…

Une journée (presque) comme les autres.

Quand on a 6 ans, perdre une dent, c’est comme gagner à l’Euro-millions. Alors quand A. a perdu l’une de ses canines, pendant les calculs, ils se sont tous levés pour venir voir le trésor qu’elle avait craché au creux de sa main. Elle est venue me l’apporter précieusement, je l’ai posé avec cérémonie dans un mouchoir et lui ai promis de lui rendre quand ce serait l’heure des parents.

Entre-temps, je me suis mouchée, beaucoup – ça doit être le pollen – et j’ai jeté beaucoup de mouchoirs à la poubelle. A 11h40, A. est venue récupérer son trésor. Je ne l’avais plus. A voir le désespoir sur son visage, je ne pouvais pas ne pas y aller avec les deux mains, tout au fond. J’ai brassé la poubelle, mélangé (et ouvert) les kleenex usagés, sachets de thé pas encore secs, papiers froissés et autres bouchons mâchés. Je devais absolument retrouver son ticket gagnant. La sueur a même coulé sur mes tempes, sous le regard implorant de l’enfant. J’y suis arrivée, je l’ai retrouvée.

En recréation, avec les collègues, nous nous sommes installés sur un banc au soleil. Vue d’ensemble sur la cour, imprenable sur les toilettes. M. est entré et a choisi l’urinoir. Il a laissé la porte grande ouverte, cela n’avait pas l’air de le gêner. Pas du tout même. Parce que le garçon s’est posté devant, debout, et a jugé utile de baisser l’ensemble de son pantalon pour faire son affaire.

En début d’après-midi, j’aurais du mal à dire laquelle de nous deux s’est sentie le plus gênée. Quand je me suis tournée vers L., au hasard, pour lui demander d’aller fermer la porte, elle a sursauté. Comme elle n’a pas entendu tout de suite ce que je lui avais dit, elle a cru que je lui reprochais d’avoir mis les deux mains sous son collant, puis dans sa culotte, ce que je n’avais, en réalité, pas encore remarqué. J’ai toussé, mes mots sont arrivés jusqu’à elle. Elle a ôté ses mains de là-dessous et s’est levée d’un bond.

C’est à ce moment-là que M. est venu vers moi d’un air penaud. Pire que ça, j’ai eu l’impression qu’un météorite lui était tombé sur la tête. Il avait les yeux mouillés et n’arrivait même pas à m’expliquer pourquoi. Dans une main, il avait un morceau de la paire de lunettes que je lui avais découvert sur le nez ce matin. L’autre morceau dans l’autre main. Je m’étais déjà posée la question un peu plus tôt, mais je n’avais pas pris le temps de lui en parler. Je trouvais en effet qu’elles ne seyaient pas vraiment à son visage d’enfant de 7 ans.

« Est-ce que ce sont tes lunettes, M. ?

-(Silence, second tsunami sur les pupilles).

-Ce sont les lunettes de Papa, c’est ça ?

-(Reniflage)

-Il sait que tu les as prises ?

-(Tête baissée, poings sur les yeux). »

A la fin de la journée, je me suis souvenue que j’avais commencé ce matin à compter le nombre de fois où ils me disaient « Merci Maîtresse ». Je trouvais ça amusant, plusieurs personnes me l’avaient demandé, ces derniers jours, rapport au titre d’un livre qui vient de paraître. Je me suis souvenue aussi que j’avais vite abandonné.

Parce que je me suis dit que leur nombre n’avait pas tellement de sens et que ce qui comptait, c’était à quel point ces deux petits mots sortaient vite, bien et sonnaient doux.

Sapins, guirlandes et joyeusetés

A une semaine de Noël, alors que les illuminations égaient les rues, que les sapins clignotent dans les maisons, que des kilomètres de papiers cadeaux sont malmenés, pliés, découpés, scotchés, que les panses se repaissent de chocolats plus ou moins dégoulinants… A une semaine de Noël, moi, je survis. Enfin j’essaie.

– A une semaine de Noël, l’esprit de joie et de partage n’a semble t-il pas encore atteint la mère de R., qui continue d’ignorer allègrement les messages que je note sur le cahier de son fils pour espérer la recevoir en rendez-vous. Alors j’en remets un autre chaque jour. Je me dis que quand elle découvrira tout, ça lui en fera plus à lire, elle sera peut-être contente. Ou pas.

– A une semaine de Noël, l’esprit de gaieté et de bonheur en a pris un léger coup quand j’ai lu la fiche de renseignements de mon nouvel élève. Adresse du père : maison d’arrêt, ci-joint le jugement lui interdisant à jamais d’approcher la maman.

– A une semaine de Noël, mes kilos en trop n’ont visiblement pas choqué S. qui m’a ramené une merveilleuse (mais ô combien calorique) pizza au poulet qu’elle avait elle-même cuisinée avec sa mère hier. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’était bon. C’était rudement gentil. Ça oui. Ça m’a valu une demie-heure de vélo en rab à la salle de sports ce soir.

– A une semaine de Noël, je me dis qu’il faudrait quand même voir ce qu’ils ont retenu de ces dernières semaines, mes petits CP. Alors je leur dis qu’on va faire un exercice sur le temps qui passe, sur… « les mois de la semaine », me répond vaillamment E.. C’est là que j’aurais peut-être dû arrêter. Parce qu’ensuite, quand L. a écrit que le mois actuel c’était lundi et que la saison qui vient après l’hiver c’était juillet, j’ai commencé à me dire que j’aurais du garder un morceau de la pizza au poulet pour le goûter, comme ça, pour me consoler.

– A une semaine de Noël, c’est un peu comme si une mouche était entrée dans l’école et les avait minutieusement piqués, tous, un à un. Pas la mouche qui endort, l’autre, celle qui rend nerveux, excité, qui fait crier au lieu de parler, se trémousser au lieu de s’asseoir, rigoler au lieu d’écouter, gribouiller au lieu de colorier, se rouler par terre au lieu de jouer, celle qui leur fait tout oublier.

– A une semaine de Noël, la photocopieuse aussi, commence à fatiguer. Alors les feuilles, elle doit penser que ce sont des pizzas au poulet et elle se met à les manger, sans oublier de bien les prémâcher. Alors moi je me transforme en chirurgien : « NFS chimi iono », les doigts dans le bousin, de l’encre sur les ongles, je sors les organes les uns après les autres, je tire sur le petit bout de feuille qui me permettra (j’y crois) de sortir le reste. Bref, j’y passe une demie-heure, tous les voyants sont au rouge, mais miracle ! La photocopieuse rend les armes et finit par recracher, presque nickel, les trois versions des magnifiques coloriages de Noël qui occuperont les impatients pendant une bonne partie de la semaine.

– A une semaine de Noël, la maîtresse est fatiguée, rincée, épuisée. Mais la maîtresse est aussi un peu stressée. Elle doit aller ces jours-ci présenter à des gens (importants il paraît) le livre qu’elle a écrit et qui sortira dans quelques mois. Jusqu’à présent, c’était (un peu) secret. Mais je sais pas, l’esprit de Noël, tout ça, j’avais envie de partager.

Une journée (presque) ordinaire…

Aujourd’hui, il y a eu :

– R. qui a presque réussi à dire « maîtresse » correctement, il a dit le « ss » à la fin, mais a gardé le « cr » au début. Mais pour commencer la journée, c’était déjà vachement bien.

– Bon, il y a eu M., ensuite, qui m’a soutenu mordicus que un L à coté d’un O, ça faisait « mo ». J’étais de bonne humeur, je n’ai pas insisté, même si je lui ai dit que je n’avais jamais encore fait de vémo, mais que ça arriverait peut-être un jour, qui sait.

– L’heure d’après, D. s’est un moment gratté la tête pour retrouver comment s’appelait ce chapeau russe que je venais de leur montrer au tableau. Cette sorte de bonnet rembourré, avec une visière remontée sur le front. Et puis d’un coup, d’un seul, il s’est levé et a crié « Chantaaaaal ! ». J’ai cru qu’il y avait vraiment Chantal qui passait dans le couloir. Et puis j’ai compris, et je lui ai dit qu’il y était presque, que c’était une « chapka, répète après moi ».

– A un moment, je ne sais plus comment, on a parlé de l’amour. Ils ont tous fait beurk. Alors je leur ai expliqué que l’amour, c’était aussi celui de leurs parents et que c’était grâce à ça qu’ils étaient là, aujourd’hui, avec moi. C’est là que E. a dit « moi, Papa et Maman, comme ils se tapent dessus tout le temps, euh, je crois pas ».

– Ça l’a peut-être décomplexée parce que pas longtemps après, j’ai demandé à V. pourquoi son cahier n’était pas signé. Elle m’a répondu que Maman elle avait pas le temps, parce que « Papa, il était encore bourré » (sic).

– J’ai commencé à me dire que la journée était quand même un peu compliquée, mais il y a eu W. qui, sans respirer ni même hésiter, a lu une phrase de sept mots, seule, du début à la fin. Ses yeux ont tellement brillé que les miens ont failli être mouillés.

– Et puis L. qui a récité la poésie de bout en bout, avec des gestes, des intonations et surtout une fierté à faire pâlir un coq.

– Et enfin A. qui s’est battue comme une guerrière pour calculer les additions et les soustractions que j’avais mélangées sur le tableau. A la fin, quand je lui ai dit qu’elle avait tout réussi, elle ne m’a pas crue. Et puis elle m’en a demandé d’autres et j’ai dit oui.

Je crois même que je lui ai dit merci.

Une journée (presque) ordinaire, une de plus…

Aujourd’hui il y a eu…

– La maman de A. qui est arrivée comme une furie dans le couloir, prête à en découdre avec moi. Sa fille n’avait pas appris sa poésie et pour qui je me prends de lui mettre un D alors que c’est pas de sa faute, c’est parce qu’elle s’est couchée tard et qu’elle avait oublié son cahier.

– L., lui, n’avait pas fait signer sa dictée parce que tu comprends hier je suis allé faire du sport alors je ne pouvais pas. Si j’ai dormi à la maison, mais en fait, après le repas, je suis allé prendre ma douche et en fait, après je suis allé me coucher alors tu vois maîtresse, je n’avais pas le temps, vraiment.

– M. qui a tiré les cheveux de E. dans l’escalier mais « c’était pour rire, je te jure Maîtresse, j’ai rien fait, j’en ai marre moi à la fin. » Moi aussi.

– La maman de S., absente depuis six semaines, qui a jugé bon de m’appeler sur mon portable en pleine classe pour me dire ce qu’elle pensait du signalement que je venais de faire remonter à l’inspection. Elle le savait, depuis la première fois qu’elle m’a vue, que ça allait mal se passer entre nous. Elle jure que ce n’est pas fini. Dommage.

– S. qui m’a assuré que « chocolat » était un adverbe. Quand je lui ai suggéré que l’adverbe était sans doute un autre mot de la phrase, elle a proposé « gâteau ». Je suis lâche. J’ai laissé tomber.

– Une réunion, ce midi, pour essayer de composer les classes de l’année prochaine. Et comme il faut absolument séparer Y. et M. et que la maman de I. ne veut pas qu’il soit dans la classe de Mme C. et que dans cette classe, il y a déjà T. Du coup, c’est la merde. Comme d’habitude, sauf qu’on ne s’y habitue pas.

– Y. qui faisait le clown pendant nos répétitions du spectacle de fin d’année. Sauf que ce n’est pas un spectacle de cirque. Qu’il était déjà 16h30 et que j’avais vidé ma bouteille de patience.

– F. qui est venue jusqu’à mon bureau, malgré sa jambe boitillante et qui m’a déposé une feuille de brouillon toute moche. Quand je l’ai retournée, elle avait écrit que j’étais la meilleure maîtresse du Monde. Rien que ça. Elle avait même ajouté « Merci ».

De rien, c’est mon job.

Une journée (presque) ordinaire, encore une…

Aujourd’hui, il y a eu.. Aujourd’hui, il y a tellement eu..

8h45. M. arrive en classe. Triomphant. Il m’a ramené le dossier MDPH que sa maman devait remplir pour sa demande d’AVS. Super, merci, génial. On va pouvoir clore le dossier. Sauf que, sauf que le médecin n’a pas voulu signer le certificat. J’appelle le médecin. Il me hurle dessus.
« Cet enfant n’est pas handicapé.
– Non Monsieur, il a des troubles de l’attention, qui handicapent son apprentissage. Un bilan psychologique et psychométrique a été établi, il est dans ma classe depuis Septembre, je sais ce dont je parle.
– Alors, pourquoi je dois remplir un formulaire de la Maison Départementale des Personnes Handicapées ?
– Parce que ce sont eux qui centralisent les demandes d’Auxiliaire de Vie Scolaire.
– Jamais je ne signerai ce papier, je vous dis qu’il n’est pas handicapé. »
Il a raccroché. J’ai failli pleurer.

10h50. Une gentille policière, que dis-je, commissaire de police de la brigade des mineurs a frappé à la porte de ma classe. Rapport au signalement que j’avais fait pour Y., il y a trois semaines. Maman et enfants toujours introuvables. Placement plusqu’envisagé « dès qu’on les trouvera ». Là aussi, j’ai failli pleurer.

13h10. Salle des maîtres. Repas avalé. Le téléphone sonne. La maman de Y.. Elle veut savoir pourquoi la police la cherche. Je lui explique, enfin, j’essaie. « Je vais avoir des problèmes, madame ? ».

14h50. Séance d’Arts Visuels avec les CM2. Observation d’une œuvre de Paul Klee « La danse de la peur ». 1938, Allemagne. Ce que tu vois, ce que tu comprends, ce que tu ressens. On évoque le contexte. Le IIIe Reich, la guerre qui arrive, Hitler, la Shoah. L’échange est intéressant, vif, dynamique. E. lève le doigt : « Mais maîtresse, Hitler, il a fait beaucoup pour la médecine, c’est mon beau-père qui m’a dit ça ». Avaler sa salive, respirer fort, rester calme, essayer d’expliquer. Souffler.

15h45. Fin de récréation. M. saigne du nez. Ce n’est pas la première fois, c’est même très fréquent.
« C’est normal, maîtresse, je suis hémophile, j’ai une maladie qui s’appelle la maladie de Willebrand. » Trois ans qu’il est dans l’école M., il est même parti en classe verte et personne, personne n’était au courant. Pas de PAI, forcément. Appeler la maman, convoquer le médecin scolaire, remercier qui on veut que rien ne soit arrivé jusque là.

16h45. K. range ses affaires, s’approche de mon bureau. Ça fait deux mois qu’elle est dans ma classe, ça fait deux mois qu’elle est arrivée d’Albanie. Elle quitte l’école. Ses parents quittent l’hôtel d’à côté, ont trouvé un logement, alors elle quitte l’école. K., peu causante me prend dans ses bras, me serre fort, très fort et dans un Français presque correct me dit « Merci maîtresse ».

De rien. C’est mon job.

Presque comme hier, mais pas tout à fait comme demain.

Dans ma REPpublique, les jours se suivent et ne se ressemblent pas (toujours).

Aujourd’hui, il y a eu :
– Une séance de géographie que M. a conclu en criant à la question (toute épineuse) du nom de notre région : Paris !
– M. qui a poussé une élève espagnole dans l’escalier. Il est venu se plaindre en assurant qu’elle lui avait répondu Va te faire e…,en Italien.
– La maman de S. qui, venue chercher le bulletin, tout à fait honorable mais pas de quoi se taper le cul par terre, de sa fille, pour le 1er trimestre, a exigé de moi que je lui fasse sauter une classe pour, je cite, « aller plus vite ».
– C. qui m’a envoyé le ballon (fort heureusement en mousse) en pleine tête pendant la recréation.
– C., ma collègue, qui m’a annoncé, alors que j’avais déjà la bouche pleine, que les gâteaux que je venais de manger lui avaient été offerts par un élève au début du mois de décembre.
– La maman de Y. qui a ramené son fils en classe vers 15h en m’expliquant que mamie était tombée. Une minute plus tôt, elle expliquait à la maîtresse du grand frère que mamie avait une bronchite.
– Moi qui ai donné une poésie à copier à mes élèves pour avoir le temps de m’épandre ici.

Anouk F