Dans ma REPpublique à moi, on essaie d’éduquer, au sens large. Alors on parle des fois des injustices, du racisme, des discriminations. Et des femmes.
Le mot est écrit en très gros sur le TBI. Quelques-uns ont déjà pouffé, à peine la dernière lettre était écrite. Comme si le mot leur faisait peur, tellement il leur est presqu’étranger. FEMMES
On est le 8 mars, c’est la journée Internationale pour le Droit des Femmes. Mais ça, je ne leur ai pas encore dit, je voulais juste commencer par les entendre, recueillir ce qui leur passait par la tête. Les pédagogues appellent ça un « recueil de représentations » et comme je suis, aussi, à la pointe des innovations pédagogiques, je dessine une « carte mentale ». [Pour les non-initiés, je fais des flèches et j’écris les mots que les élèves me donnent.]
Le premier qui vient, c’est Maman.
J’écris, je ne commente pas.
Le second, c’est maîtresse. Tiens, tiens.
La semaine précédente, alors qu’on travaillait sur l’analyse grammaticale, j’avais essayé de leur faire comprendre la différence entre nature et fonction en leur disant :
« Par exemple, moi, ma fonction, c’est maîtresse, mais ma nature, c’est quoi ? »
D’une seule voix, ils avaient tous répondu « Maman ».
C’est là que, très calmement, je m’étais dit qu’il faudrait y revenir, longuement, un de ces jours.
Je continue de recueillir leurs représentations.
Fille.
Dame.
Les joues rouges, il y en a un qui tente « poitrine ». Il me faut quelques secondes pour rétablir le calme dans la classe, mais j’écris.
Hommes. Ah, il a mis un peu de temps à sortir celui-là, mais il est là. Personne ne se demande ce qu’il fait là, mais il est là.
Il est là et d’un coup, les langues se délient, les bras se lèvent, moins timides, plus assurés.
Mariage.
Enfants.
Maison.
J’arrête là avant que le mot ménage ne sorte et j’observe.
« Femmes, pour vous, donc, c’est maman, maîtresse, fille, dame, poitrine (re-rires), hommes, mariage, enfants, maison. Bien, on va les reprendre un par un ces mots et on va en parler, d’accord ? ».Alors on a parlé.
Des femmes, puis des hommes.
Des femmes avec les hommes.
De ce que faisait une femme.
De ce que faisait un homme.
De ce qui les différenciait.
On est revenu à poitrine, (presque) plus personne ne riait.
« Est-ce qu’une femme ne se définit que parce qu’elle a une poitrine ?
– Non, maîtresse, une femme aussi, elle se maquille.
– Oui, et elle met des robes.
– Pourtant, je ne mets pas de robe, moi, m’avez-vous déjà vu avec une robe ?
– Nooooon !
– Je ne me maquille pas non plus, si ?
– Nooooon !
– Alors je ne suis pas une femme ?
– (Silence gêné). »Peu à peu, on a avancé.
Tout doucement.
Une femme, ça peut travailler, « comme toi, maîtresse ».
Une femme, ça peut décider, « comme la directrice, maîtresse ».
Une femme, ça peut ne pas faire la cuisine, jamais.
Rires.
« Pourquoi vous riez ?
– Bah maîtresse, à la maison, c’est la maman qui cuisine.
– Chez moi, jamais. Je ne sais pas faire, je suis nulle.
– Ah bon, c’est ton mari qui cuisine ?
– Oui. »
Trois quarts d’heure se sont écoulés. Je leur ai expliqué qu’aujourd’hui, 8 mars, on célébrait la journée internationale du droit des femmes. Je pensais avoir un peu fait progresser leurs représentations, modestement. Et puis L. a levé le bras :
« Ah oui, maîtresse, je sais ce que c’est la journée des femmes, dans les magasins, ils donnent du maquillage gratuit ce jour-là ».
Alors je me suis lourdement assise derrière mon bureau, me disant que j’y reviendrai, que j’y arriverai. Mon portable a sonné.
Un SMS.
PHILDAR : « Pour la journée des femmes, nous vous offrons 30% de réduction sur toutes les laines à tricoter ».
Bravo pour votre travail et votre patience ! C’est grâce à des femmes comme vous que les prochaines générations regarderont les femmes d’un oeil nouveau #onycroit
Merci beaucoup. Je suis, comme vous, assez persuadée que beaucoup de choses se jouent à leur âge. Merci de me lire en tous cas.
Bonjour,
Et merci d’être ce que vous êtes. J’ai travaillé trois ans dans une école élémentaire (contrat aidé) et j’ai vu…. et entendu. Vu des enfants « cas soc » sortis régulièrement de la classe pour cause de « il est plein de puces », ou « je ne peux pas le supporter », j’ai entendu « regarde, on dirait un singe », entre autres.
Si tous les enseignants de maternelle et d’élémentaire étaient comme vous, le monde, et je pèse mes mots, le monde changerait, car c’est là que tout commence.
En plus, vous ne faites pas de fotes d’ortografe, ça c’est rare, même pour des personnes censées enseigner la grammaire et l’orthographe.
Merci beaucoup pour votre commentaire. Au plaisir de vous retrouver ici.
Pour la petite anecdote, lorsque mon fils était en 2ème maternelle (MS pour la France), son institutrice m’interpelle un matin avec un air un peu inquiet…
Elle : « Je pense que votre n’a pas compris grand chose à l’activité d’hier ! Moi : « Ah bon et de quoi s’agissait-il ? »
Elle : « Il devait découper dans un magazine une photo qui représentait son papa (thème : fête des Pères). »
Moi : « Et… »
Elle : « Et bien, venez voir sur le panneau collectif de la classe… Il a découpé et collé… un… fer à repasser ! »
Moi : « Et… »
Elle : « Je pense qu’il vous a confondu avec son papa… Tout le monde sait, qu’un homme ne repasse pas »
Moi : « Euh ! Mon fils a bien compris votre activité car, chez nous, c’est uniquement le papa qui repasse… Excusez-moi de bousculer vos croyances… Et bonne journée Madame l’Institutrice… » Si si si, ça s’est passé dans ce millénaire-ci dans notre beau pays…
Je ne suis pas du tout étonnée par ce témoignage… Malheureusement, les mentalités sont à changer aussi chez certains enseignants.
Merci de me lire en tous cas.