Liberté, j’écris ton nom.

Dessin de Fernand Léger sur le poème de Paul Eluard « Liberté, j’écris ton nom »

Alors on en est là.
Une tête tombe, sous les mains déterminées d’un homme qui n’était encore il y a quelques mois qu’un enfant.
Un esprit s’envole, sous les huées de ceux qui se sont sentis attaqués, qui se disent blessés, qui se persuadent que leurs enfants étaient méprisés.
Un enseignant disparaît, emportant avec lui sa lumière, son envie de les emmener plus haut, de les éclairer sur le chemin de la tolérance et de la liberté.
Un père est éliminé.
Un homme est tué.

Alors on en est là.
Les bras ballants, le regard humide, on pleure, on crie, on hurle, on a peur, on s’indigne, on se révolte.
On condamne cette terreur qu’ils essaient de semer.
On déplore ce fossé qui ne cesse de se creuser. Cette société où les uns ont tellement besoin d’avoir des autres contre lesquels s’insurger.
On angoisse de ce monde dans lequel nos enfants grandissent.

Et on s’interroge. Beaucoup. Jamais trop. Encore et encore.
On se demande comment personne ne l’a protégé. Comment aucun n’a entendu ses appels à l’aide, leurs appels à la haine. Comment, tout en haut, au chaud, ils n’ont pas sorti leurs armes et leurs boucliers pour le sauver. Ne serait-ce que pour ne pas avoir ensuite à rendre hommage, mais simplement justice. Pour nous montrer à nous, tous, 800 000 que nous sommes, que nous sommes bien là pour ça, que nous avons bien plus que le droit, mais aussi le devoir de continuer à emmener nos élèves sur le chemin de la liberté. La liberté de dessiner, de dire, de penser, de réfléchir, d’écrire. D’exister.

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
On enfile nos masques DIM et on continue, coûte que coûte.
On y retourne, on parle un peu plus fort, on brandit notre détermination encore un peu plus haut.
On accompagne, on explique, on recommence, on avance.
On ne renonce pas, non jamais, ce serait trop leur accorder.
Notre bouclier, si ce n’est pas eux qui nous le fournissent, là-haut, on l’a déjà tous, au fond de nous : l’envie de leur donner une chance, à tous, sans exception.

Continuez à briser nos murs si cela vous plaît, les fondations sont solides, on s’en est occupé.

Pour se donner un peu la peine.

Dans ma REPpublique à moi, on construit doucement, à petits pas. Chaque jour, on ajoute une petite brique, puis une autre. A la fin, des fois, ça fait une grande et belle tour. A condition d’avoir ce qu’il faut de ciment, de l’autre côté du portail. Ni trop. Ni pas assez.

Il aimerait bien R.
Il aimerait très fort même.
Il est fier, R. quand il arrive à lire une phrase entière.
Oui, c’est son deuxième CP.
N’empêche que de voir les autres l’admirer, ça lui fait sacrément du bien à R.
Mais il peut pas.
Il peut pas parce que « Maman, elle veut pas ».
« T’es-tu entraîné à lire les syllabes hier à la maison ?
– Non, Maman, elle a dit non.
«  Est-ce que Maman t’a lu le livre que je t’ai prêté hier ?
– Non, elle a dit non. 
«  Est-ce que tu as appris la poésie, R. ?
– Non, Maman elle a dit « Va jouer à la playstation ».
«  Pourquoi tu n’es pas venu à l’école hier R. ?
– Maman elle a dit « C’est pas la peine. »

La maman de M. aussi, elle a dit « C’est pas la peine » l’autre jour.
Je l’ai appelée, dix minutes après qu’elle a déposée sa fille.
La petite pleurait, pleurait. Une main sur la joue. Elle avait mal, très mal. Des semaines qu’elle m’en parle de ces dents qui la font souffrir.
Trois fois que j’explique à Maman qu’il faut vraiment l’emmener chez le dentiste.
Elle ne parle pas français la maman de M., mais elle a compris.
Elle a compris, mais elle n’a rien fait.
Alors ce matin-là, je l’ai rappelée.
C’est sa grande fille qui lui a parlé au téléphone.
Elle a traduit ce que je lui disais.
Venir chercher M., tout de suite.
L’emmener chez le dentiste. Vite.
Maman est venue.
Avec les quelques mots qu’elle connaît, elle a juste réussi à me dire « pas grave, dentiste, pas la peine ».

Je ne sais pas si c’était le même jour, peut-être bien.
V., la discrète. Les cheveux en pagaille, le sourire malicieux, les yeux bleus qui pétillent.
V. elle sait déjà bien lire. Elle écrit seule et très bien. Elle écoute, elle applique, elle apprend, elle est bien, là, avec nous.
Devant le portail, c’est toujours Maman.
Les mêmes yeux bleus. Le même sourire.
V. lui saute dans les bras. Chaque midi, chaque soir, comme si c’était la première fois.
Un câlin au petit frère, un autre au grand frère.
Une belle famille.
On croirait.
V. sort son livre de lecture. Elle adore lire. Elle est allée le chercher en courant dans son sac.
Le livre est abîmé. Noirci, corné.
« Il faut demander à Maman de le couvrir, V., c’est important, regarde, il est déjà bien abîmé.
– Elle peut pas Maman.
– Pourquoi ? Elle ne sait pas où trouver le papier ?
– Non, c’est pas ça. C’est à cause de Papa. Il est bourré.
– …
– Il est bourré, il boit de l’alcool, plein d’alcool, alors Maman, elle peut pas. »

A la maman de I., vendredi, c’est moi qui ai dit que ce n’était pas la peine.
Que ça suffisait.
Que c’était bien comme ça.
Qu’il n’en fallait pas plus, surtout pas.
Parce que I., quand elle fait de l’écriture, elle angoisse.
Quand elle porte son cahier jusqu’à mon bureau, pour me montrer ses lignes de b, de ba, de biberon et de bataille, elle a le regard implorant.
« Papa, il a dit qu’il fallait des très bien partout et que comme ça, il serait content et fier de moi.
– Dis lui que, même sans des très bien, il peut vraiment déjà être fier de toi.
– Et Maman, le soir, elle me demande ce que j’ai écrit à l’école et elle me donne une feuille et je dois le refaire plusieurs fois.
– Combien de fois ?
– Trois, ou quatre, ça dépend. »

J’ai réécouté les paroles de la chanson de Pink Floyd ce matin.
« Hey, teachers, leave the kids alone ».
J’adore cette chanson.
L’air, le message.
La liberté, l’envie.
Et puis j’ai eu envie d’en changer un peu le texte.
Juste un mot.

Ma fille, cette championne.

Dans ma REPpublique à moi, on rencontre des petits êtres humains qui fournissent des efforts monstres, qui seraient prêts à tout pour qu’on les regarde, pour qu’on les aime. Même si ce que certains exigent d’eux s’éloigne un peu trop de l’essentiel.

Elle est souriante.
Elle est jolie.
Elle est polie.
Elle est calme.
Elle est brillante.

Pas un exercice qui lui échappe. Pas une nouvelle notion qu’elle ne maîtrise pas tout de suite, et bien. Et elle aime ça. Enfin, c’est ce que je crois, ce que je vois. Parce qu’elle en redemande, tout le temps, encore et encore.

Elle est jeune pourtant, plus jeune que les autres. Un an de moins. Elle a « sauté » une classe parce qu’elle le pouvait et aussi, parce que Maman le voulait.

« Est-ce qu’on peut sauter deux classes, madame ? Me demande Maman justement, lorsque je lui remets le bulletin truffé de A de sa progéniture.
– En théorie, rien ne l’empêche, mais…
– Mais ?
– Mais il faut penser à elle, peut-être qu’il faut aussi qu’elle reste avec des enfants qui ont presque son âge, qu’elle mûrisse, qu’elle grandisse, à son rythme. »

Alors elle fait parfois d’autres exercices, plus compliqués, plus longs.
Aujourd’hui, je lui ai rajouté un chiffre à chaque nombre à diviser.
Elle s’en est sortie.
Très bien.
Il faut la nourrir et elle a faim.

Le Français n’est pas sa langue maternelle. D’ailleurs, à la maison, on ne le parle pas, ou peu. Elle le maîtrise parfaitement, mieux que d’autres, avec parfois, rarement, un mot qui lui manque.
Elle m’aide avec A., mon petit Syrien.
Elle lui traduit des consignes, lui explique des exercices.
Ca la rend fière.
Elle sourit.

Comme toujours, ou presque.
Parce que ce qu’elle n’aime pas, pas du tout, c’est quand il y a un B sur une évaluation. Ou quand elle vient faire corriger ses exercices à mon bureau et qu’il y a une erreur, une toute petite erreur. Alors elle pleure, chaudement.
Elle n’a pas aimé non plus, la semaine dernière, quand je leur ai proposé une évaluation sans les avoir prévenus avant, comme je le fais d’habitude. Elle a tellement pleuré qu’elle en a mouillé sa copie, sans faute.

Un soir, j’ai reçu un mail de Maman, à 21h, veille de jour d’école.
« Madame, il faut que je fasse réviser les mathématiques à ma fille, pouvez-vous me communiquer des exercices ? ».
Je n’ai pas répondu.

A 17h, quand elle attend sa fille devant le portail, elle lui sourit peu. La gamine s’approche, Maman lui parle. Je ne comprends pas leur langue mais j’entends la fille répondre « Oui, tout juste » ou « Oui, 100% à la dictée » ou, parfois, tête basse, « que des A, mais un B, juste un ». Je me demande ce qui se passe ensuite.

On a commencé cette semaine à préparer le cadeau de la fête des mères. Je leur ai demandé de remplir un petit carnet pour leur Maman avec des phrases qu’ils auront écrit, eux-mêmes.

« Maman, ce que je préfère faire avec toi, c’est….. »

Faire la cuisine ?
Aller me promener ?
Faire les courses ?

Non, elle, ce qu’elle préfère faire avec Maman, c’est « réviser mes évaluations ».

« Maman, tu aimes quand je… »

Te dis je t’aime ?
Te fais rire ?
T’aide à mettre la table ?

Non, elle, sa Maman, elle aime quand « j’ai des bonnes notes ».

Elle est souriante.
Elle est polie.
Elle est jolie.
Elle est calme.
Elle est brillante.

Est-elle heureuse ?

Même pas peur !

Dans ma REPpublique à moi, on met des mots sur tous les maux, sans tabou et tous ensemble.

« Mais, Maîtresse, c’est quoi un terroriste en fait ? »

L’attentat a eu lieu trois jours plus tôt. Un supermarché. Une toute petite ville de province.

« Mais, normalement, ça se passe à Paris, ces trucs-là, non? »

Paris c’est loin.
Paris c’est pas nous.
Paris, ça n’existe presque pas, en vrai.

Le Super U, ils connaissent tous. Quand ils ont vu les images à la télé, pendant le week-end, ils ont reconnu le grand U bleu, « comme derrière chez moi, maîtresse! ». Mais le reste, ils n’ont pas vraiment compris. On ne leur a pas vraiment expliqué.

Je suis tombée sur une discussion entre enseignants, sur un réseau social.
« Et vous, vous allez en parler en classe ?
– Ah non, s’ils ne posent pas de question, je préfère éviter, répondait l’un.
– Bien sûr que non, c’est aux parents de faire ça. On risque de leur faire peur, rajoutait l’autre ».

Et si les parents n’en parlent pas ?
Et si les enfants ne posent pas de question ?

On a regardé une petite vidéo. Un petit sujet qui résumait ce qui s’était passé.
Otages.
Ravisseur.
Morts.
Blessés.
Survivants.
Etat islamique.
Terroriste.

Oui, ça a été long.
Non, cela n’a pas été simple.
Mais on a parlé.
On a mis des mots. Des mots simples, trop simples diront certains. Mais des mots, c’est l’essentiel.

« Mais pourquoi ils tuent maîtresse ? Ils ont la même religion que moi mais dans ma religion, on ne tue pas, on n’a pas le droit »

Ils se sont livrés.
Ils se sont offusqués.
Ils se sont opposés.

« Un terroriste, c’est quelqu’un qui sème la terreur, qui veut qu’on ait tous peur, qu’on arrête de vivre tellement on a peur »

D. s’est levé et, fièrement, il a dit « Bah moi, je n’ai même pas peur ! »
« Moi non plus » a ajouté A., puis Y., puis L., puis tous les autres.

Moi non plus, a pensé la maîtresse, encore moins maintenant.

Différent, c’est tout.

Dans ma REPpublique à moi, on parle de la différence. On explique qu’elle existe et qu’il faut l’accepter. Mieux, qu’il faut l’accueillir et lui sourire.

Je ne pensais pas que ce jeu existait encore. Comme je ne pensais pas que certains mots se disaient encore.
Un bout de papier plié en 8, 16, ou je ne sais plus. Quand j’étais gamine on appelait ça un « croque-madame ».

« Combien en voulez-vous ?
Je vois Y., dans le couloir, déplier son petit objet en papier devant M.
– Huit, répond M.
– Un, deux, trois…
– Alors, alors ?
– Alors, t’es un mongolien ! »
M. éclate de rire, Y. en rajoute.

Je ne leur en veux pas, pas vraiment. J’ai sans doute déjà dit ça, moi aussi, enfant, dans la cour, pour insulter quelqu’un, pour rire. « Triso » «Mongolito ». Qu’on me jette la pierre tout de suite si je suis la seule à avoir déjà prononcé ces mots.

Je ne leur en veux pas, mais je le supporte difficilement. Parce que maintenant, je sais.

Ils s’installent en classe. On avait prévu de la faire de la géographie. Tant pis, on en fera plus tard. Ou pas. J’attends que le calme s’installe, j’interpelle Y.

« C’est quoi un mongolien, Y. ?
– Bah, euh, je sais pas. Un fou ? »

Regardez, écoutez, comprenez.
Chromosomes.
Génétique.
Non ce n’est pas une maladie.
Non ça ne veut pas dire être fou.
La discussion dure une heure. On n’a pas fait de géographie. Tant pis.

L’année suivante, je prends les devants. En lecture, je leur propose un livre : « Un petit frère pas comme les autres ». L’histoire d’un petit lapin un peu différent, qui fait pipi par terre , qui n’arrive pas à parler, à peine à marcher. Sa grande sœur, au petit lapin, ça l’agace carrément. Alors Papa et Maman Lapin lui explique « ton petit frère est porteur de la trisomie 21 ».

« C’est quoi, maîtresse, la trisomie 21 ? »

Chromosomes. Génétique. Photos. Vidéos. Louise.

Louise, c’est une petite fille porteuse de trisomie 21. La fille d’une amie. On était enceinte en même temps, on a accouché à quelques semaines d’intervalle. Mon fils est « normal », sa fille a « ce truc en plus ». Quand Louise est née, j’ai pleuré. J’avais peur, je trouvais ça terrible, affreux. Puis Louise a grandi et j’ai grandi aussi. Depuis Louise, j’ai accepté, j’ai compris. Je sais que ce n’est ni terrible, ni triste, ni affreux. Que c’est différent, c’est tout. Alors je veux que, eux aussi, ils grandissent, acceptent et comprennent. Et sans tarder.

Les questions fusent.
« C’est contagieux ?
– Ça se soigne ?
– Un jour, elle pourra parler, Louise ?
– Pourquoi ça existe ? »

J’essaie de répondre à tout, au mieux. Et puis je leur parle d’A., le petit frère de Y. et M., deux enfants de l’école. A., il a 4 ans, il est à la maternelle, à côté. Lui aussi, il a ce « truc en plus ».

« Ah oui, maîtresse, on le connaît A. , c’est ça qu’il a ?
– Oui.
– Alors, ça ne veut pas dire être bête, ou être fou, A., il n’est pas bête, il n’est pas fou.
– Non, c’est juste qu’il mettra plus de temps à apprendre mais il saura tout faire, comme vous.
– Bah oui, mais nous, on peut l’aider, maîtresse ! »

A la sortie de l’école, A. est dans sa poussette. Maman est venue chercher Y. et M., comme tous les soirs. Comme tous les soirs, tout le monde vient dire bonjour à A.. Tout le monde lui sourit, s’accroupit devant sa poussette. Deux enfants de ma classe arrivent derrière, en courant. Ils ne se baissent pas vers A.. Pas tout de suite. Ils ont quelque chose à dire à sa maman, d’abord.

« Madame, madame, on sait ce que c’est la trisomie 21! Il saura tout faire A., tout faire, elle a dit la maîtresse.»

Je suis fière. Je suis fière parce que ces deux-là au moins, j’en suis sûre, ils ne rejetteront pas, ne reculeront pas, ne dénigreront pas.

Je suis fière aussi parce qu’aujourd’hui, ils sont tous venus avec des chaussettes dépareillées.

« Pourquoi des chaussettes dépareillées, à votre avis ?
– Pour dire que c’est pas parce qu’elles sont pas pareilles que ça nous empêche de marcher ».

Juré, je n’avais rien soufflé.

En attendant le 8 mars…

Dans ma REPpublique à moi, on essaie d’éduquer, au sens large. Alors on parle des fois des injustices, du racisme, des discriminations. Et des femmes.

Le mot est écrit en très gros sur le TBI. Quelques-uns ont déjà pouffé, à peine la dernière lettre était écrite. Comme si le mot leur faisait peur, tellement il leur est presqu’étranger. FEMMES

On est le 8 mars, c’est la journée Internationale pour le Droit des Femmes. Mais ça, je ne leur ai pas encore dit, je voulais juste commencer par les entendre, recueillir ce qui leur passait par la tête. Les pédagogues appellent ça un « recueil de représentations » et comme je suis, aussi, à la pointe des innovations pédagogiques, je dessine une « carte mentale ». [Pour les non-initiés, je fais des flèches et j’écris les mots que les élèves me donnent.]

Le premier qui vient, c’est Maman.
J’écris, je ne commente pas.
Le second, c’est maîtresse. Tiens, tiens.

La semaine précédente, alors qu’on travaillait sur l’analyse grammaticale, j’avais essayé de leur faire comprendre la différence entre nature et fonction en leur disant :
« Par exemple, moi, ma fonction, c’est maîtresse, mais ma nature, c’est quoi ? »
D’une seule voix, ils avaient tous répondu « Maman ».
C’est là que, très calmement, je m’étais dit qu’il faudrait y revenir, longuement, un de ces jours.

Je continue de recueillir leurs représentations.
Fille.
Dame.
Les joues rouges, il y en a un qui tente « poitrine ». Il me faut quelques secondes pour rétablir le calme dans la classe, mais j’écris.
Hommes. Ah, il a mis un peu de temps à sortir celui-là, mais il est là. Personne ne se demande ce qu’il fait là, mais il est là.
Il est là et d’un coup, les langues se délient, les bras se lèvent, moins timides, plus assurés.
Mariage.
Enfants.
Maison.

J’arrête là avant que le mot ménage ne sorte et j’observe.
« Femmes, pour vous, donc, c’est maman, maîtresse, fille, dame, poitrine (re-rires), hommes, mariage, enfants, maison. Bien, on va les reprendre un par un ces mots et on va en parler, d’accord ? ».Alors on a parlé.
Des femmes, puis des hommes.
Des femmes avec les hommes.
De ce que faisait une femme.
De ce que faisait un homme.
De ce qui les différenciait.

On est revenu à poitrine, (presque) plus personne ne riait.
« Est-ce qu’une femme ne se définit que parce qu’elle a une poitrine ?
– Non, maîtresse, une femme aussi, elle se maquille.
– Oui, et elle met des robes.
– Pourtant, je ne mets pas de robe, moi, m’avez-vous déjà vu avec une robe ?
– Nooooon !
– Je ne me maquille pas non plus, si ?
– Nooooon !
– Alors je ne suis pas une femme ?
– (Silence gêné). »Peu à peu, on a avancé.

Tout doucement.
Une femme, ça peut travailler, « comme toi, maîtresse ».
Une femme, ça peut décider, « comme la directrice, maîtresse ».
Une femme, ça peut ne pas faire la cuisine, jamais.
Rires.

« Pourquoi vous riez ?
– Bah maîtresse, à la maison, c’est la maman qui cuisine.
– Chez moi, jamais. Je ne sais pas faire, je suis nulle.
– Ah bon, c’est ton mari qui cuisine ?
– Oui. »

Trois quarts d’heure se sont écoulés. Je leur ai expliqué qu’aujourd’hui, 8 mars, on célébrait la journée internationale du droit des femmes. Je pensais avoir un peu fait progresser leurs représentations, modestement. Et puis L. a levé le bras :
« Ah oui, maîtresse, je sais ce que c’est la journée des femmes, dans les magasins, ils donnent du maquillage gratuit ce jour-là ».

Alors je me suis lourdement assise derrière mon bureau, me disant que j’y reviendrai, que j’y arriverai. Mon portable a sonné.
Un SMS.
PHILDAR : « Pour la journée des femmes, nous vous offrons 30% de réduction sur toutes les laines à tricoter ».