Dans ma REPpublique à moi, on arrive avec son petit bagage. Ça fait des mois, des années qu’on le transporte et on le pose là, le plus discrètement possible. Mais parfois, on ne peut pas éviter de le voir, en face.
Les enfants n’ont pas de filtre. Peu de retenue. Quand ils voient quelque chose qui les surprend, ils le font savoir. A. est de ceux-là.
Quand on est arrivés au portail, ce matin, à 11h45, A. a crié. Il a fait la grimace, puis il a crié encore une fois et m’a regardée. Je lui ai pris le bras et je lui ai fais signe d’avancer.
Devant nous, il y avait la maman de mon nouvel élève.
C’est pour ça qu’il a crié.
Je n’ai pas crié, moi.
Je savais.
On m’avait prévenue.
Je l’ai regardée dans les yeux, juste les yeux.
J’ai vu aussi les autres mamans ne pas crier mais l’observer, une moue à peine masquée et un peu de dégoût sur les lèvres.
Elle m’a parlé, calmement, posément, sérieusement.
Elle m’a demandé comment s’était passée la première matinée de son fils.
M’a expliqué qu’il était un peu timide, mais que son niveau était bon.
J’ai confirmé.
Je lui ai dit que je la tiendrai au courant, que pour l’instant, tout allait bien.
Sa perruque est un peu tombée lorsqu’elle a embrassé son fils.
Il a approché ses joues blanches et gonflées d’enfant de la bouche de sa mère, intacte, ou presque.
Le reste du visage est brûlé.
Je ne connais pas l’échelle des degrés. Elle doit sans doute être tout en haut, de cette échelle.
Le cou aussi, peut-être le reste, mais ses habits le masque.
Son deuxième fils est arrivé, en courant.
Elle a tendu les bras, a révélé ses mains.
Ce qu’il en reste.
Je n’ai pas crié.
Oui, j’ai regardé.
Peut-être un peu trop fixement.
Peut-être l’a t-elle remarqué.
Peut-être, sans doute, y est-elle habituée.
Nous nous sommes saluées. Ils sont partis.
Je ne sais pas comment c’est arrivé.
Je ne suis pas sûre d’avoir envie de le savoir.
Pas certaine de vouloir savoir qu’il y a un lien avec ce papier, fourni avec le dossier scolaire.
Ce papier, tamponné par un juge, qui dit que Papa n’a pas le droit de venir chercher les enfants.
Qu’il n’a pas le droit de mettre un pied dans cette rue, dans cette ville, ni même dans ce département.