Dans ma REPpublique à moi, on a par moments un peu de mal à comprendre ce que cache un visage, ce que signifie une larme, un cri. Ce que peut, aussi, vouloir dire un sourire.
Je n’ai, je crois, jamais réellement entendu le son de sa voix.
Je n’ai, je crois, jamais vu quelqu’un sourire autant, tout le temps.
Je ne sais rien d’elle, ou si peu.
Simplement qu’elle arrive de là-bas, loin, de ce pays dont on parle tant.
Qu’elle est née dans cette ville que tout le monde connaît, si tristement.
Homs, Syrie.
Elle est arrivée en même temps que A.
Pourtant, j’ai compris qu’ils ne se connaissaient pas, là-bas.
J’ai compris aussi qu’ils n’avaient pas emprunté la même route, juste qu’ils ont atterri au même endroit : ma ville, ma classe.
A. est arrivé blessé, marqué.
Elle n’a jamais cessé de sourire, jamais.
Un peu plus de trois mois maintenant qu’elle est en France.
Les mots sont difficiles à trouver.
Il y a cette langue, si éloignée de la sienne, ces lettres, qu’elle découvre et apprend à connaître et cette timidité, cette manière de s’excuser d’être là, parfois, en souriant, tout le temps.
En souriant, elle attend.
Elle attend O., la maîtresse qui essaie de lui apprendre le Français.
Ensuite, elle attend, sans rien dire, que je lui propose du travail.
Oh oui, il m’arrive de l’oublier.
Elle ne dit rien.
En souriant, elle attend.
Elle a appris à calculer. Elle est même capable, en chuchotant, de me dire le nom des chiffres.
Quand elle se trompe, elle s’excuse. Une fois, dix fois, trop.
La semaine dernière, O. est venue dans ma classe pour m’aider à leur faire écrire quelques lignes pour leur papa.
« Qu’est-ce que tu aimes faire avec Papa ? »
Ca a été long. Elle a fini par comprendre et se faire comprendre.
Ce qu’elle aime, c’est quand Papa va faire du vélo avec son frère, et qu’elle les regarde partir.
« Et toi, tu vas faire du vélo avec eux ? » lui a demandé O.
Elle a secoué la tête, en souriant, et a prononcé, tout doucement : « fille moi, vélo, non ».
Avec ses grands yeux bleus et le visage illuminé de ce sourire dont elle ne se défait décidément plus, elle a dessiné Papa sur un vélo et son petit frère derrière. A la porte de la maison, il y avait elle, sa mère et ses sœurs, qui regardaient.
J’ai longuement observé ce dessin, puis je l’ai regardée, elle. Et quand elle m’a souri, de nouveau, je lui ai demandé si elle aimerait, elle aussi, faire du vélo. Elle a froncé les sourcils, comme elle le fait quand elle ne me comprend pas. J’ai recommencé, avec des gestes, en la montrant du doigt. J’ai su qu’elle m’avait comprise quand son sourire a tout à coup disparu, quelques secondes à peine, qu’elle a pris son dessin et qu’elle est retournée s’asseoir.
Quel beau texte, si bouleversant. Et quelle tristesse de voir que ces petites filles sont conditionnées de la sorte, dès leur plus jeune âge, à cette inégalité…
Bonjour, je suis une maman et vos lettre m’ont émue aux larmes. Avec mon fils un peu précoce et un peu inadapté parfois, j’ai rencontré beaucoup d’enseignants tout au long de sa scolarité et je peux vous affirmer que vous n’êtes pas seule. S’ils ne prennent pas tous le biais du blog vos sensibilités sont partagés. L’école changera avec le regard des enseignants mais aussi celui des enfants et des parents car pour eux vous êtes souvent un rempart face à l’injustice ou l’incompréhension du monde extérieur. Votre regard leur donnera, j’espère, la force de se battre pour ce à quoi ils ont droit, le respect, la dignité et une place sociale. Merci.
Merci à vous pour ces jolis mots. Changer le regard, oui, c’est bien ça.