Si tu savais tout ce que ce masque masque.
Tout ce que ce bout de tissu ne dit pas de moi.
Tout ce que ce morceau de coton entre eux et moi a gâché de notre rencontre.
Si tu savais comme il me gêne, comme il m’étouffe, comme il m’empêche d’être pleinement celle que je voudrais être devant eux.
Je suis allée chercher I. dans sa classe.
Je lui ai souri pour le rassurer.
Il n’en a rien vu.
Alors j’ai parlé doucement pour lui expliquer que j’allais l’aider à apprendre le Français et que ça allait bien se passer.
Je connaissais sa langue, je pensais que ça le réconforterait. Mais de ma voix douce, il n’a entendu que des sons étouffés. J’aurais voulu poser ma main sur son épaule pour l’accompagner. Je n’en ai plus le droit, alors il les a gardés baissées. Plus tard, de ma bouche qui formait correctement ce U dont il n’a jamais entendu la musique, il n’a rien perçu et j’ai lu dans son regard quelque chose qui me disait :“Je n’y arriverai jamais.”
Puis les parents de R. sont entrés. Dans leurs yeux, j’ai vu l’inquiétude et tout ce qu’un tel changement de vie peut impliquer. J’ai compris l’angoisse, les papiers à n’en plus finir, le courage et surtout l’envie d’y arriver. Ce pays qu’ils ont quitté, cet autre qui les fait tant rêver. Derrière mon masque pourtant, il y avait mon sourire qui aurait juste voulu essayer de les rassurer. R. m’observait. J’ai tâché de faire passer par mes yeux tous les messages que j’avais à lui adresser. De celui-là je ne connais pas la langue, pas même les lettres. Notre chemin sera long, le sien encore plus peut-être. Je n’ai pas les mots pour le lui dire, et surtout pour lui promettre que la route sera balisée et qu’il y avancera bien plus vite qu’il peut l’imaginer. Tout ça, c’est mon visage entier qui le lui disait. Il n’en a vu que la moitié.
Ce bout de tissu est là pour les protéger. Pour me protéger aussi. De ce virus qui décime, qui inquiète, qui divise et qui nous secoue, tous, d’une manière ou d’une autre. J’ai bien compris que de choix, nous n’en avions pas d’autre pour le moment. Je l’entends. Je le comprends. Je l’applique. Je m’efforce de solliciter les rides qui ont poussé autour de mes yeux, pour qu’elles s’occupent d’afficher un peu plus clairement mes sourires. Mes mains apprennent à s’agiter encore plus que d’ordinaire, elles m’aident à demander si tout va bien, à féliciter, à encourager.
“Maman, les super héros aussi ils ont des masques”.
C’est ça. C’est exactement ça.
Envoyez moi une cape maintenant, je vous prie.
La rentrée « pas comme les autres ».
La rentrée qui n’en est pas une.
La rentrée qui va peut-être être une sortie de l’éducatif pour ceux qui auraient le plus besoin de contextualiser, d’exercer leur compréhension, d’entraîner leurs expressions…
Une rentrée qui, au lieu d’en avoir le goût, en a pas mal le dégoût.
Peut-on faire autrement que de brader ou, au minimum, mettre entre parenthèses des conceptions d’éducation, et les gestes qui vont avec ? Comment faire passer de l’humain, du sourire, de l’empathie et de la vie derrière ce masque ?
Autant de questions qui ne sont pas prises en compte par les hiérarques bien (mal) pensants qui appliquent à tous, uniformément, indistinctement, au canon, des mesures qui devraient être dosées à la petite cuiller.
Donner dans la mesure n’est pas leur fort, alors, nous continuons à protéger et à essayer de faire progresser ceux qui nous sont confiés, même malgré nos avis, même malgré nos dégoûts…