M. s’est approché de moi sans faire de bruit. J’étais penchée sur un carton, les mains pleines de poussière et je tentais d’y faire entrer ce qui ne rentrait pas. Une boite de jeux sous une autre, un paquet de stylos neufs au-dessus des ardoises. Il a tapé sur mon épaule et m’a dit, avec cet accent qu’il parvient désormais si bien à gommer, “Maîtresse, je voulais juste te dire merci”.
Et puis il est reparti. Avec le même silence. Celui que nous leur avons imposé, pendant ces derniers mois. Cette bouche cousue, ces gestes contrôlés, cette retenue qu’ils ont fini par si bien assimiler que plusieurs fois, ils m’ont donné envie de chialer.
Je l’ai regardé partir et me suis assise, pour observer un instant ces murs vides et entendre le bruit de la cour.
Dans la salle, j’ai revu I. arrondir ses grands yeux quand je lui parlais Français, lever ses paumes de main vers le plafond et laisser ses yeux s’affaisser, persuadé qu’il était que, jamais, il n’y arriverait. A côté de lui, il y avait R., celui qui s’est arrêté net de s’exprimer le jour où on lui a collé un masque sur le nez. Juste derrière, le regard si obstiné de N., celle qui n’a rien lâché, derrière cette timidité dont elle et moi savions qu’elle n’existait pas vraiment. Je me suis souvenue de ces sorties, que nous avons dû, les unes derrière les autres, annuler. J’ai repensé à ces petites journées pendant lesquelles l’école a fermé, ces exercices en ligne qu’ils avaient si consciencieusement réalisés et à notre joie de nous retrouver, chaque matin, parce que le goupillon que je m’étais enfoncée dans le nez la veille m’en avait donné le droit.
Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais ce dont je suis sûre aujourd’hui, c’est que c’est à moi de te dire merci, M.. C’est à nous tous de les saluer, de les féliciter. I., M., R. Y. et tous les autres. D’avoir réussi malgré tout à apprendre, d’avoir aimé être là, tous les jours. D’être parvenu à oublier que nous n’avons pas pu être à la hauteur de ce qu’ils méritaient.
Ce soir, à ma fenêtre, sur mon balcon, c’est eux que j’applaudirai. C’est eux, les enfants, qu’il faut remercier d’avoir tant courbé le dos, d’avoir tout accepté. Quoi qu’il en coûte désormais.