Les notes sont arrêtées, les conseils passés. Je les autorise à jouer aux cartes. A. est imbattable. Il faut nommer les mots, en français, avant l’autre. Trois tours, puis W. capitule. “On ne dit pas un pomme, mais une pomme, lui lance A, tu as perdu!”. Les deux ados se marrent, je les entends s’envoyer quelques vannes, en Français, et je me dis que c’est moi qui ai gagné. Je sais que nous nous verrons plus pendant quelques semaines, qu’ils vont me manquer, que je les retrouverai encore plus grands, plus ados encore, mais je sais surtout qu’ils n’auront plus besoin de moi, à la rentrée. Alors je profite, je savoure mes petites fiertés et leurs grands progrès.
“On va faire une château avec les cartes, regarde!”. “UN château,A. on dit UN château.”. Méthodique et scrupuleux, celui qui est parvenu à ne plus racler les R comme il le faisait dans sa langue natale pose ses fondations, puis les étages, l’un après l’autre. W. L’observe, sourire en coin. Il attend. Lui, c’est la patience qui l’anime. Il sait que son moment arrivera. Celui où il ne dira plus qu’il sait “un pou” parler français, mais “beaucoup”. Le silence accompagne les gestes de plus en plus précis de A.. Je me dis que nous aussi, les profs, on en construit, des châteaux. Que pour nous aussi, il faut de la méthode, de la précision, des convictions, de la patience. Comme A. qui croit si fort que son édifice tiendra bon, on s’accroche tous les jours pour que le nôtre, le leur, tienne la route et la longueur.
Septembre. Nous recevons les nouveaux arrivants de l’été. Nous les écoutons, tentons de leur trouver une place dans un établissement. Une conseillère d’orientation va arriver. Elle recevra les plus âgés, leur demandera ce qu’ils aimeraient faire, pour les guider. Je la laisse s’installer en face de ce grand ado un peu perdu et m’apprête à l’écouter. Je vais l’entendre poser les premières cartes les unes à côté des autres pour que la petite maison du garçon se construise, peu à peu. “Alors tu vois, en France, quand on a des bonnes notes, on va dans un lycée général. Et quand on n’est pas bons, on fait une formation professionnelle”.
W. S’est levé d’un bond, il s’est approché de A. et a éternué pour s’assurer que tout allait bien s’écrouler.
Je me suis retenue de hurler. J’ai serré les dents si fort qu’elles ont grincé.
Non, W., tu n’as pas le droit de faire ça.
Non Mme, vous n’avez pas le droit de dire ça. Vous n’avez pas le droit de bousiller en quelques secondes le joli château que nous essayons chaque jour de construire, de reconstruire, ou juste de restaurer. Personne n’a le droit de mettre des enfants dans des cases et de cracher sur les autres.
Je n’ai rien dit.
J’ai ravalé mes convictions, ma colère et tout le reste.
Je me suis dit que tant pis demain, je réessaierai.
Et puis le jour d’après.
W. s’est excusé. il a pris le tas de cartes de A. et l’a aidé à recommencer.
Sur la photo, ils se tiennent par l’épaule et leur fierté est presque aussi grande que la mienne.
Leur château a tenu quelques longues secondes.
Ou toute une vie.
Bonjour, je tiens à rectifier une idée reçue malheureusement trop rependues qui me choque. Les formations professionnelles ne sont pas pour les mauvais élèves. Le choix du bac général, technologique ou professionnel s’effectue selon vos aspirations professionnelles. Les longues études ne garantissent plus aujourd’hui un emploi et un revenu confortable. Cordialement.
Merci beaucoup, mais c’est justement le propos que je défends dans cette chronique, si vous la lisez bien…