Point(s) de vue(s).

Fermer les yeux et voler vers cette chaise, de l’autre côté de cette salle de réunion sordide et froide.
Celle où est assise cette maman, qui se triture les mains et n’ose pas lever les yeux.
Nous écouter lui dire que, vraiment, avec sa fille, on n’y arrive pas.
Nous entendre faire la liste de toutes les choses qu’elle ne peut pas faire, de toutes les activités auxquelles elle ne participe pas.
Ressentir dans sa chair l’écho de son impuissance, de sa confiance en nous qui s’étiole, de ses angoisses pour l’avenir qui l’étouffent.
Comprendre sa colère, sa tristesse, son sentiment d’abandon.
Rouvrir les yeux et lui annoncer que la réunion est terminée, qu’il faut se dépêcher, une autre famille attend son heure, juste derrière la porte.

S’arrêter un instant et glisser à sa hauteur sur cette petite chaise, près de la fenêtre.
S’y installer avec peine, comme elle, les jambes pas tout à fait alignées.
Regarder avec elle le plafond, pour ne pas voir ce tableau qui lui fait mal aux yeux tant ce qui y est écrit lui échappe et l’effraie.
Se demander comment elle se sent.
Se dire qu’elle est heureuse, profondément, parce qu’elle est là, avec les autres, et que c’est bien tout ce qui compte.
Cesser de se demander quand est-ce qu’elle rattrapera les autres. Parce qu’elle ne les rattrapera peut-être jamais. Mais elle avancera.
Simplement.
Doucement.
Sur son propre chemin.

Ranger son cartable et le troquer contre la mallette de cet ouvrier, qui la soulève à la hâte, pour être à l’heure au rendez-vous.
Courir avec lui dans le couloir, s’excuser de son retard, s’installer, le front suant et la mine inquiète sur le fauteuil qu’on lui a prêté.
Regarder avec lui la liste des observations, punitions, sanctions, remarques, faites à son fils, qu’il voit si peu.
Recevoir sans broncher la violence de ce qu’on lui présente comme son propre échec.
L’observer rentrer avec son ado sous le bras, hausser la voix, l’envoyer dans sa chambre, débrancher sa Play Station.
Finir sa soirée près de lui, seul sur le canapé, et se retenir de pleurer.
Mais pas trop longtemps, parce qu’il faudra bientôt repartir bosser.

Changer de place, chaque jour.
Décaler son regard.
Le décentrer.
Et avancer.

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