Quand la maman de E. est venue me trouver, je l’ai sentie d’entrée tout à fait désemparée. Elle ne savait pas bien comment me le demander, mais voilà, elle a fini par se lancer : quel est le cahier de vacances que je lui recommande d’acheter pour sa fille. Ma réponse a été claire, limpide, certains diront un peu catégorique : AUCUN. J’aurais pu ajouter quelque chose du genre « Foutez lui la paix », mais les termes étaient sans doute un peu mal choisis, même si l’idée était bien celle-là.
Foutez-leur la paix.
J’entends déjà gronder : l’année scolaire est trop courte, ces grandes vacances sont si longues que nos jolis chérubins vont « tout oublier ». Et vous, est-ce que, pendant vos trois semaines de coupures, en juillet, vous emportez dans vos valises un résumé des contrats en cours avec vos clients, un catalogue de toutes les références que vous avez vendues pendant l’année, une liste de vos patients, une photo de votre patron et que sais-je encore ? Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de rentrer de congés et de ne savoir absolument plus rien faire au bureau, parce que vous aviez « tout oublié » ? Non. Pour vous les vacances, c’est le repos. Et bien pour eux aussi. C’est long, oui, mais ils sont petits.
La maman de E., tout de suite, s’est justifiée. C’est elle qui réclame, a t-elle alors ajouté, en caressant la tête de sa fille, dont les yeux brillaient déjà à l’idée de coller tous ces beaux autocollants, de terminer ces longues lignes d’écriture et de relier la maman panda à son petit, c’est en page 8, je n’ai rien inventé. Bien sûr qu’elle réclame, et je la comprends. Elles sont magnifiques ces têtes de gondole dans les supermarchés, tellement colorées, que j’ai presque envie de retourner en CP moi aussi. Dans les librairies, les maisons de la presse,il y en a partout. Tellement partout qu’on se sent mauvais parent si on en n’achète pas à son enfant. Tellement jolis que les enfants finissent persuadés qu’on va finalement les faire redoubler pendant l’été s’ils ne le font pas en entier. Le marché est juteux, que personne ne s’y trompe. J’ai un truc à proposer : si on arrêtait juste de faire croire à nos enfants qu’apprendre, c’est remplir un cahier, ne pas dépasser, gommer ses erreurs et ne jamais se tromper ?
Oui mais. Si c’était la maman de D., qui était venue me trouver ? Cette maman qui ne sait plus comment l’aider, qui désespère de voir son fils entrer au CE1 sans vraiment être capable de lire plus de deux lignes sans s’épuiser ? Si elle m’avait demandé : pendant tout ce temps, sans vous, qu’est-ce que je fais ?
Je lui aurais aussi dit « Foutez-lui la paix ». Je lui aurais aussi dit de le laisser se reposer, mûrir ce qu’il avait appris cette année, profiter d’elle et de son été. Et puis je lui aurais donné le même papier qu’à la maman de E. : celui de l’abonnement à la bibliothèque du quartier. Et j’aurais ajouté, au lieu de « Foutez-lui la paix », un seul petit mot, bien moins agressif, mais tout aussi urgent, à l’adresse de son enfant : « Lis ».
Donnez lui des livres, des livres et encore des livres. A la librairie, fermez les yeux sur la belle table pleine de cahiers de vacances à l’entrée et continuez d’avancer. Voilà, juste un peu derrière. Laissez le choisir ici, à la bibliothèque, parmi les prospectus de la boite aux lettres, dans vos placards. Qu’il sache que la lecture n’est pas une peine, qu’elle est la clé de tout le reste, parce qu’elle est plaisir, joie, bonheur, connaissance et bien d’autres choses encore. Amusez-vous des lettres, des mots et assemblez tout ça avec lui. Non, pas derrière une table, avec le doigt sévèrement posé sur chacune des syllabes que vous lui imposez de déchiffrer, mais sur un canapé, sur une serviette de plage, les pieds dans la piscine ou dans les rayons du supermarché. Tant que vous y êtes, profitez de la plage encore pour lui confier votre porte-monnaie pour aller acheter les glaces, que ce soit lui qui cherche les bonnes pièces pour payer, demandez lui de mettre la table, pour huit personnes s’il te plait, n’oublie pas de mettre deux cuillères pour chacun. Jouez, n’imposez rien, encouragez.
Alors plutôt qu’avoir ingurgité sans bien digérer le contenu d’une année scolaire résumée dans un joli cahier tout bien coloré, R., E. et tous les autres auront passé l’été à se reposer, à s’amuser et à apprendre sans s’y forcer. Ils en redemanderont, on sera là pour s’en occuper.
Bonsoir,
Merci pour ce billet tellement juste. Lorque j’étais orthophoniste, la même question m’était adressée et je faisais la même réponse. J’ajoutais que plutôt qu’un cahier de vacances du commerce, la famille pouvait écrire un journal de vacances, à autant de mains que de volontaires, sans contrainte, avec des phrases écrites à la main, des lettres découpées, des étiquettes découpées sur un emballage dont on a aimé le contenu, un billet de cinéma, des dessins…. Je leur disais « Emmenez-les au marché, nommez les fruits, les légumes. Encouragez-les à monter entre frères et soeurs, cousins cousines, amis, des saynètes et à vous faire une représentation ». Et surtout, plus que « lis » je leur disais « lisez-lui, lisez-lui le début du livre, parfois vous le surprendrez à le lire parce qu’il veut savoir la suite ; parlez-lui de ce que vous aimez ou non dans cette histoire, demandez-lui son avis, essayez ensemble de deviner la suite… C’est le plus beau des cadeaux à faire à un enfant, même grand. Cela lui permet en outre d’accéder à des histoires qu’il ne peut peut-être pas encore lire seul ». Et si les parents sont non francophones ou mauvais lecteurs, prendre plaisir à écouter son enfant faire la lecture et là aussi partager son ressenti, ou peut-être des souvenirs, des histoires que l’on a aimées et dont on se souvient, ou encore instaurer un partage de lecture : le parent lit un livre à l’enfant dans sa langue d’origine, s’il en existe, et l’enfant lit une histoire en français aux parents. Bref, les vacances sont un temps de repos, de partage, de fabrication de sens et de lien. Le cerveau, lui, n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, en vacances, et il profite de ce temps pour ranger, classer et fixer ce qui a été travaillé pendant l’année. Merci encore et bonnes vacances !!!
Oui, à 200% oui pour tout ça. Malheureusement, l’apprentissage frontal, forcé, assis et sans moufter a la dent dure et il est difficile de faire évoluer les esprits. Au début de mon année de CP, les premiers devoirs que j’ai fait collés à mes élèves sur leur cahier étaient à destination de leurs parents : « Lire un livre chaque soir à mon enfant » ! Merci pour ce joli commentaire et bonne continuation en tous cas ! Anouk.
Hello Anouk … Je voulais te foutre la paix, toi aussi tu as droit à des vacances … même si je sais très bien que tu vas souvent penser à ta prochaine rentrée 😉 …
Mais comme je suis entièrement d’accord avec le fond de ta chronique, je voudrais te faire un cadeau … *
Un livre que tu n’auras pas besoin de lire puisqu’il te suffira de tourner les pages et d’écouter Lauriane le lire … Lauriane c’est ma fille, elle donnait des coups de pied dans les tibias de sa maitresse quand elle était en maternelle … au siècle dernier …
Une maîtresse qui lui a pourtant appris à lire, ainsi qu’à ses camarades dans sa petite école rurale qui va fermer ses portes l’an prochain, à partir des textes qu’ils/elles inventaient chaque jour …
Je l’ai admirée à l’époque …
Et pourtant ma fille défend maintenant les positions de notre ministre actuel de l’Education Nationale … au prétexte qu’elle pense que les Enseignant(e)s ont peut d’être évalué(e)s …
Mais elle lit quand même bien et elle n’a pas rechigné quand je l’ai mise à contribution … bénévolement bien entendu … non mais des fois !!!
C’est ici, c’est moderne , ça fonctionne même en ligne sur tablette et sur smartphone /
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Bonnes vacances …
@t… alain
Merci Alain !! Bel été à toi !