Je vais y aller.

Photo Robert Doisneau

Je vais y aller.
Tu ne m’en laisses pas le choix, mais là n’est peut-être pas la question.
Je vais y aller parce qu’ils m’attendent, là-bas.
Parce qu’ils ont besoin de moi.
Parce qu’ils me manquent, parce que ce n’est pas fini.
Parce que nous avons, ensemble, encore bien des choses à apprendre.
Des uns. Des autres.

Je vais y aller.
Mais ce que tu me demandes, je t’assure que je ne sais pas le faire.
Rester loin d’eux, exiger qu’ils ne bougent pas.
Ne pas leur proposer de jouer, jamais.
Ne pas les autoriser à s’approcher.
A se copier.
A se toucher.
Parler devant eux comme si je n’étais qu’un écran de plus dans leur vie.
Leur demander d’écrire, écrire encore.
Manipuler, peut-être. Mais seuls.
Sans interagir.
Sans piquer le jeton de l’autre pour lui prouver qu’il en a un en trop.
Sans poser au bon endroit cette pièce de puzzle dont il se demandait bien où elle allait.

J’y serai.
Tu as dit que ton objectif était avant tout social.
J’aimerais tellement y croire.
Sortir de chez eux ces enfants qui n’y sont pas heureux.
Faire baisser ce chiffre abominable qui nous dit que les signalements pour enfants en danger ont augmenté de 89%.
Oui, mille fois oui.
Dis-moi, crois-tu sincèrement que ces enfants-là seront avec moi ?
Nous crois-tu assez convaincants pour avoir obtenu des familles un accord sans être en mesure de leur garantir que le virus n’arrivera pas chez eux ?
Quelle légitimité avons-nous ?
Quelle légitimité nous as-tu donnée ?
Dis-moi comment faire venir à l’école des enfants déjà absentéistes quand celle-ci n’est plus obligatoire ?

Je serai là.
Parce que le tunnel qui se creuse va bientôt créer un océan.
Je veux donner à tous la chance d’apprendre encore.
Je veux que même ceux qui peinent aient le droit d’essayer encore.
Mais sais-tu comment on apprend ?
Sais-tu comment on essaie encore, quand on n’y arrive pas ?
Sais-tu de quoi a besoin un enfant qui n’entre pas dans la lecture, qui ne maîtrise pas les dizaines et les unités ?
Il a besoin de toucher, de manipuler, d’être accompagné, tout près.
Il a besoin de copier un peu sur le voisin.
Il veut qu’on lui tienne la main, qu’on l’encourage, là, à côté.
Il veut montrer qu’avec un ballon, oui il arrive.
Il veut jouer à attraper les autres.
Et il en a le droit.

Et moi, être avec eux autrement que comme ça, je ne sais pas.

7 réflexions sur « Je vais y aller. »

  1. Bonsoir Anouk…

    Non tu ne sais pas comment être autrement que tu l’as été avant… avant ce que l’on appelait du nom savant de « Prophylaxie » et que certains ont rebaptisé Distanciation Sociale…

    Et pourtant … tu vas le faire…
    Même si tu sais que les risques c’est surtout pour toi qu’ils seront * mais que tu les acceptes et malgré tout, parce que tu ne seras jamais comme ce « Sociologue » dont j’ai oublié le nom et qui a avoué en fin d’une émission de France Inter qu’il avait peur de l’autre lorsqu’il s’approchait à moins de 4 mètres de lui …
    Mais où est-ce qu’il va faire ses courses?
    ET s’il est malade… qui consultera-t-il?

    Oui mais toi tu as du courage…

    @t… alain

    * ( https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-04-mai-2020 )

  2. Merci beaucoup pour ce partage dans lequel je me retrouve beaucoup. Enseignante aussi j’ai envoyé ce message à mes parents d’élèves hier… je le partage ici pour soutenir ton élan et tous les enseignants qui se positionnent sur cette « reprise ».

    Suite à la décision du conseil municipal de tenir l’école fermée dans les conditions actuelles de la reprise, je souhaitais vous faire part de ma position concernant cette décision.

    J’y suis très favorable mais peut-être pas pour les raisons auxquelles vous pensez, je souhaite donc être claire et transparente avec vous sur ce point-là:

    Je ne fais pas partie d’un quelconque comité scientifique et je ne pourrais me permettre de donner un avis scientifique sur la dangerosité de ce virus ou le risque de contamination dans une classe… Cela n’est pas mon travail et je le laisse aux personnes compétentes en la matière.

    Par contre, je suis enseignante et ça, c’est mon métier. Je l’exerce depuis près de 20 ans maintenant. J’ai appris à instruire, éduquer, former… J’ai appris à rassurer, donner confiance, transmettre… j’ai appris à connaître les enfants, leurs mécanismes d’apprentissage, de défense, de protection… J’ai appris à percevoir des liens entre leur système émotionnel et leur système intellectuel. J’ai vu des enfants en souffrance qui n’apprenaient pas ou mal, j’ai vu ces mêmes enfants acquérir des compétences très facilement lorsque leurs souffrances avaient pu être entendues. Et à l’inverse des enfants qu’on disait « intelligent » ou « avec des facilités » qui ont présenté des troubles et des défaillances intellectuelles après des traumatismes émotionnels (perte d’êtres chers, maladie, violence, séparation….).
    Je sais l’impact des mots sur leurs « maux ». Je sais l’impact des médias et des conversations d’adultes qu’ils ne devraient pas entendre sur leurs peurs, je sais l’impact de la peur chez un enfant.
    Je ne peux pas enseigner cela, je ne veux pas enseigner cela… Je ne veux pas être le vecteur de ces croyances dans la tête de vos enfants. Croyances telle que « jouer ensemble c’est dangereux » « Se toucher est dangereux » « vivre normalement c’est risquer de mourir »

    Je n’ai pas peur de ce virus, j’ai peur de transmettre la peur à vos enfants en appliquant un protocole qui ne prend à aucun moment en compte le traumatisme qu’il va occasionner si les enfants reprennent le chemin de l’école ainsi. Aujourd’hui la mission qui m’est confiée d’enseigner la peur ne me ressemble pas. Les gestes barrières, l’hygiène, la prudence oui, mais pas le traumatisme de se sentir dangereux, d’avoir peur de transmettre la maladie, d’être en danger, de croire que l’autre est dangereux pour moi…

    Voilà pourquoi je prend la décision de protéger vos enfants en leur permettant de rester chez eux, dans un cadre rassurant en les accompagnant du mieux que je peux à distance, en vous accompagnant, vous rassurant, vous épaulant dans cette mission de parents/enseignants que vous prenez tous très au sérieux.
    Bien sûr, les situations sont différentes chez chacun d’entre vous, bien sûr les activités professionnelles de chacun vont ou ont repris, bien sûr, les inquiétudes concernant le niveau scolaire et l’accompagnement de vos enfants sont là… mais les conditions d’accueil que l’Éducation Nationale proposent aujourd’hui vont augmenter ces difficultés et non pas les soulager. Je ne pourrais en aucun cas faire progresser vos enfants à l’école dans un tel climat de peur, de règles intenables… tout au plus, je les garderai, tant bien que mal, on les occupera mais ils n’apprendront pas ainsi. Ce ne sont pas des machines à apprendre, vous vous en êtes sûrement rendus compte en leur faisant la classe à la maison. Il y a des jours où ça ne va pas, il y a des jours où rire et se détendre est le meilleur des apprentissages, il y a des jours avec et des jours sans… Plus on est tendu et angoissé, fatigué ou indisponible mentalement, plus l’enfant est « difficile », n’y arrive pas…. Nous avons tous prononcé des phrases telles que « on dirait qu’il le fait exprès justement aujourd’hui… alors que je n’ai pas le temps, que je suis fatiguée…  » Les enfants sont des éponges émotionnelles et l’école qu’on veut leur proposer aujourd’hui va faire et fera des dégâts si nous enseignants, nous ne nous positionnons pas.
    Vous avez été et vous êtes de formidables accompagnants de vos enfants, vous me faites confiance, je vous fais confiance et je crois que tant que nous ne serons pas honnêtes et que les conditions de reprise resteront celles qu’elles sont aujourd’hui… le mieux pour vos enfants, c’est de rester dans leur foyer. Sachez que si je n’ai pas le choix, je reprendrai le chemin de l’école : mais vous connaitrez ma position. Sachez que mes propres enfants ne reprendront pas l’école non plus dans ces conditions.

    Prenez soin de vous…
    Je reste disponible encore et encore plus pour toute demande pédagogique d’accompagnement, je continue de faire au mieux pour vous proposer le mieux possible à distance. Soyez sincèrement sûrs de mon investissement total auprès de vos enfants. Aujourd’hui cela signifie de ne pas être en accord avec ma hiérarchie. Mon moteur reste et restera vos enfants…

    Courage et force à tous les enseignants qui se retrouvent bousculés dans leur mission aujourd’hui. Osons le dire : nous ne voulons pas travailler comme ça.

    1. Bonsoir Solène…
      Tu écris aux Parents:  » Sachez que mes propres enfants ne reprendront pas l’école non plus dans ces conditions.  »
      Juste une question :
      – Qui va s’occuper de tes enfants à la maison lorsque tu auras repris le boulot ?

      C@t…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.