Plus fort que l’univers tout entier.

Photo Sébastien Bozon/AFP

Il a vidé son sac et maintenant ça va mieux.
Au moins un peu.
Il a pleuré, beaucoup, mais il a tout dit.
Je l’ai remercié, je l’ai encouragé.
Je l’ai aidé à sortir pelle après pelle un peu de ces montagnes qui lui pèsent tant.
Un peu de ce qui a fait qu’aujourd’hui encore, il s’est senti différent.

On a pourtant commencé par s’énerver.
Les nerfs étaient au bord de ses lèvres et la frustration lui brûlait les yeux.
Je devrais savoir y faire, déceler les indices, décoder ces colères que je juge d’abord infondées, ces mots qui dépassent sa pensée et qui nous font, à tous les deux, hausser le ton. Mais il arrive que j’oublie les codes, que je refuse les signes et que je baisse la garde. Alors il a crié, fort. Ses mains ont essayé de s’exprimer à leur tour. J’ai crié aussi. Plus fort que lui. Parce que c’est moi qui commande, ici. Parce que je suis cet être humain qui a aussi ses failles, ses faiblesses et ses petits bouts de montagne qui prennent un peu de place à l’intérieur.

Les cris ont cessé.
Ses pleurs ont suivi.
Nous nous sommes assis.
Il a repris sa respiration.
Les mots ont commencé à sortir.
En rafales, mais saccadés.
C’est parce que..
C’est parce que..

Il a dit son ennui.
Il a confessé la punition qui lui a pendu au nez quand la maîtresse lui a, pour la dixième fois, demandé de se taire.
Il a dit sa tristesse de l’avoir déçue, peut-être, et sa peur terrible de lui déplaire.
Il a raconté ce doigt qui restait levé sans qu’on ne le regarde jamais.
Il a repris les mots de la maîtresse qui lui disait qu’elle savait qu’il savait, mais que les autres aussi, ils devaient apprendre.
Il a demandé quand est-ce que lui, il apprenait.
Il a demandé pourquoi les autres, ils ne savaient pas tout de suite, eux aussi.
Il a dit qu’il aimait y aller, mais qu’aujourd’hui, il aurait voulu être ailleurs.
Il a entendu qu’aux autres, il fallait leur laisser du temps. Il a dit que lui, on lui en donnait trop, justement, et qu’il ne savait pas trop qu’en faire. Parce qu’il veut aller vite, parce qu’il en veut encore et toujours plus. Parce que quoiqu’on fasse, ça ne sera jamais assez.

Il a dit tout ça sans s’arrêter.
Il n’y a que ses larmes qui ont cessé de couler.
Je n’ai rien dit. Juste écouté.
J’ai vu les tas de pierres sortir peu à peu de son petit torse et son ventre se dégonfler.
Je lui ai caressé les cheveux et lui ai dit que je l’aimais.
Il m’a dit que lui aussi, plus fort que l’univers tout entier.
“Et même que l’univers, je ne sais pas si tu le savais, mais ça dépasse au moins dix milliards d’années-lumière, alors rends toi compte de ce que c’est.”
Je l’ai serré très fort dans mes bras.
Alors, doucement, il a soufflé : Merci, Maman.

4 réflexions sur « Plus fort que l’univers tout entier. »

  1. Je pleure…
    Mes enfants sont dans la même situation, je me suis rendue compte pendant le confinement avec l’école à la maison, à quel point c’était dur pour eux.
    Ils revivent : »tu sais maman, ça va beaucoup plus vite à la maison qu’à l’école : à l’école je dois attendre que la maîtresse explique, attendre que les autres finissent, attendre encore, attendre pendant la correction… à la maison je peux vite faire mon travail et j’ai beaucoup de temps pour faire ce que j’aime !  »
    Pas simple l’école quand les enfants ne rentrent pas dans le moule… (Heureusement ils ont le droit de lire en classe en primaire,par contre au collège c’est non…)
    Plein de courage à ton fils…

  2. Ce récit me touche beaucoup car on me rappelle une des dernières communications téléphoniques avec mon petit-fils ! J’ai ressenti la même colère et le désir d’aller plus loin, plus vite.
    Il réclamait une maitresse sévère qui donne des devoirs difficiles.
    Heureusement mon mari enseignant a su aussi trouver les mots justes et rassurants il lui a expliqué que chaque enfant avait des qualités et qu’un jour il serait heureux d’avoir de l’aide de l’un d’eux.
    Je me souviens du fils du garagiste de notre village, qui ne parvenait pas à mémoriser ses couleurs mais qui savait réparer la chaine des trottinettes de l’école !
    Au plaisir
    Pascale Colboc

    1. Merci Pascale. Je crois connaître le bonhomme dont vous me parlez et ne suis pas étonnée qu’il ressente les mêmes choses. Bien a vous.

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