Je crois que tu ne mesures pas à quel point. Que même en essayant de toutes tes forces, tu ne peux pas te représenter.
Alors oui, tu me parleras des vacances, des mercredis, et tu auras raison.
Les vacances, en solo avec ta progéniture pendant que l’homme travaille, lui, à grosses suées.
Les mercredis dans ta voiture, les yeux rivés sur ta montre pour être sûre de ne pas rater la fin de la séance de natation, puis le début de celle de judo.
Mais je te comprends, notre sort est enviable. Nos journées de travail si courtes et nos récréations si fréquentes. Nos week-ends sur le canapé à ne plus y penser.
A ne surtout pas empêcher ton fils de détruire la boite à chaussures dans laquelle tu avais envisagé de ranger les cartes plastifiées que tu as mis tant de temps à découper, alors qu’il était minuit passé.
A ne pas te dire, en avançant sur ce chemin de randonnée, que des photos permettraient peut-être à tes élèves de travailler la géographie, les sciences et pourquoi pas la poésie.
A ne jamais attraper à la hâte ce bout de papier pour noter que ça y est, tu sais pourquoi E. n’y arrive pas et que c’est peut-être ça qui lui faudrait.
A oublier l’existence de la “To-do list” que tu as scotchée sur le frigo et que tu essaies sans beaucoup d’efficacité d’écrémer.
Ce que tu ne mesures pas, c’est tout le reste.
Savais-tu, par exemple, que pour que mes élèves étrangers essaient d’enregistrer un peu mieux les mots compliqués de cette partie l’Histoire de France que j’essaie de leur enseigner, je leur ai, ce matin même, fait écouter, une chanson d’Annie Cordy ? Chanson dont j’ai passé au préalable une demie-heure à recopier le texte, à fond dans mes oreillettes ?
Et comme nous faire du mal doit sans doute faire partie de notre métier, j’ai renouvelé l’expérience avec ma vieille amie Dorothée. J’ai eu beau lutter, essayer de faire fuir de mon esprit cette fausse bonne idée, sa chanson avec les chaussettes était ce qu’il y avait de plus parfait pour les aider à assimiler le lexique des vêtements que j’en viens à oublier de repasser ?
Oui mais. Quand, M., arrivé il y a quelques jours à peine d’Italie, s’est mis à fredonner, je me suis dit que finalement, tu avais raison, il y a vraiment de quoi nous jalouser.
Bonjour Anouk,
Enseignant de cycle III, en zone rurale, avec CE2-CM1 et CM2, ta chronique de ce jour est la bienvenue ce matin : elle me permet de faire une pause au milieu de mes corrections, préparations et autres recherches que je fais pour mes élèves. Les week-ends (et les mercredis « libres ») sont rythmés par les corrections, les préparations, les réflexions et les recherches. Accessoirement, je passe aussi un peu de temps (ce qui reste) dans le jardin.
Je ne me plains pas : j’ai choisi.
J’ai choisi d’avoir un triple niveau (quelle richesse pour les enfants !) ; j’ai choisi d’être enseignant (j’aurais pu faire autre chose, il y a très (très) longtemps) ; j’ai choisi de m’investir pour la réussite de « mes » élèves ; j’ai choisi de leur consacrer du temps, de leur donner du temps.
J’ai choisi de me retrouver face à L. qui pique parfois des crises, face à M. qui ne comprend pas toujours ce qu’elle fait là, face à J. qui a d’autres chats à fouetter que les deux s entre deux voyelles pour faire le son « ssss », etc.
Ce que je n’avais pas bien mesuré, c’est que je retrouvais aussi avoir à faire face aux parents de D qui estiment que LEUR rejeton ne travaille pas assez, que je ne le mets pas assez en valeur, ou aux parents de J. qui ne se préoccupent de son travail qu’une fois par trimestre (et encore…).
Bref, j’ai pris un lot, sans savoir exactement ce qu’il y avait dedans. Mais je ne regrette pas. Car… j’ai choisi !
Je me souviens de ma fille en maternelle dont on découvrait les difficultés et de son enseignante « ce week-end, j’ai cassé un verre en réfléchissant à la façon d’aider votre fille pour cette activité ». Ca fait 20 ans, je n’ai pas oublié son soutien et son humanité. Humanité, qu’on retrouve, oh combien, dans vos témoignages.