On me dit que tu viens d’un pays dont personne ne parle jamais.
De l’un de ces endroits sur lesquels les yeux nous préférons fermer.
On me dit que dans ce pays-là, tu n’y as en fait jamais mis les pieds.
Que Maman t’a donné naissance sur une autre terre, pas loin de la vôtre, mais de l’autre côté d’une frontière au travers de laquelle on se presse d’essayer de passer, pour avoir le droit de continuer à exister.
Est-ce que tu le sais toi, que maman y a passé 16 années ?
Qu’elle y est arrivée alors qu’elle n’avait pas encore ton âge et que c’est dans ce camp de réfugiés qu’elle a grandi, découvert le monde, puis qu’elle t’a donné la vie ?
On me dit que Papa est mort.
Que Maman a 22 ans.
Tu en as 8.
Je n’ai jamais été bonne en calcul mental, aujourd’hui ça m’arrange un peu.
Elle t’attend toujours un peu en retrait devant le portail. Elle sourit franchement quand elle te voit arriver et porte sa main sur son cœur pour me saluer.
On me dit que ta langue, personne ne la connaît.
Qu’on a pas trouvé de test adapté, pour savoir ce que tu sais, et ce que tu ne sais pas encore.
Moi je dis que tu en sauras bientôt tellement que Maman sera plus fière qu’elle ne l’a jamais été.
Je te regarde loucher sur l’ardoise de ton voisin, lever les yeux vers moi, comme pour me demander si c’est bien sur cette ardoise là que tu as raison de copier. Je ferme les yeux pour te répondre. Tu souris pour me remercier. Quelques jours plus tard, je ris en regardant ton voisin zyeuter à son tour les jolis chiffres que tu as dessinés.
Je te donne des petites étiquettes avec les lettres de notre alphabet. Tu les regardes, les manipules, m’interroges encore avec tes grands yeux noirs. Je t’en donne d’autres. Elles se ressemblent, mais ne sont pas identiques. Tu lèves la tête vers les affiches sur le mur, pointes ton doigt. Je hoche la tête, reviens quelques minutes plus tard: toutes les lettres sont assemblées, je lève le pouce, ton sourire fera ma journée.
On me dit que tu viens de loin, que ta place sera sans doute difficile à trouver.
On me dit de ne pas trop en attendre, que peu, ce sera déjà bien.
Moi je dis que ta place est déjà là.
Moi je dis que peu, cela ne suffira pas parce que tu mérites bien plus que ça.
Comme toujours…comme souvent…je pleure en lisant vos mots.
Alors juste….MERCI
Un résumé efficace et humain de ce que d’aucuns (dont je suis) peuvent mettre trente ans à formuler, à tâtonner, à essayer de mettre en place. La modifiabilité cognitive, humaine, humaniste et consciente est possible. Tu es une preuve de sa mise en oeuvre. Merci de continuer, encore et encore, toujours et toujours, malgré les obstacles et les embûches, de croire en la force de l’éducation, en son pouvoir de transformation « à bas bruit » de la société. Mais c’est un autre débat.
Tout simplement merci de tout ce que tu nous fais vivre à travers tes mots. Pourvu qu’ils continuent longtemps !