Le poulet, le poulain et la maîtresse.

« Allez, I. c’est à toi, essaie de lire ce mot-là, oui voilà, celui-là.
– P…ppppouuuu…
– Oui, pou…
– Poulet !
– Non, regarde bien les lettres I., pou…
– Poula ?
– Non, concentre toi bien, on a dit que ces trois lettres ensemble faisaient le son ?
– In !
– Oui, alors, reprend le mot.
– Ppppoulain !
– Oui, parfait, poulain, c’est bien I. Tu sais ce qu’est un poulain ? »

L’enfant n’ose pas dire non mais ses yeux ont répondu pour lui. Je balaie l’assemblée du regard, à la recherche d’un allié, d’un support, d’un éclair. Rien. Quelques secondes passent. Je sens un (très) léger frétillement du côté de G.

« G., dis-nous ce qu’est un poulain, tu le sais ?
– Oui maîtresse, c’est un animal.
– En effet G.. Dis nous, quel animal ?
– (moue avec les lèvres, épaules qui se redressent, paumes de main relevées) ».

Ma solitude est de retour. Il y a bien eu quelques « Aaaaah ouiiii » soufflés sur la gauche quand G. a parlé de l’animal mais pas grand’chose d’autre pour l’instant. J’hésite alors à leur parler du chocolat, qu’ils mettent peut-être dans leur lait le matin. Puis je me souviens que le lapin Nesquik a depuis longtemps détrôné le poulain alors je crains de semer la confusion et qu’ils quittent la classe, persuadés qu’un poulain, c’est un lapin marron avec un tee-shirt bleu et un sac sur le dos et parfois même une casquette vissée à l’envers.

« G., tu m’as dit que c’était un animal, ça veut dire que tu en as déjà vu, essaie de fermer les yeux et dis nous comment est cet animal, à quoi il ressemble ?
– Mmmmm.. il a euh.. deux ou quatre pattes je sais plus.
– Euh.. ensuite ?
– Et, ah oui je sais, il a des plumes ! »

J’évite de m’attarder sur le « Mais oui ! » victorieux de J. et sur le « Je le savais » de l’autre I. et je me dis qu’il est peut-être temps de les aider un peu. Après tout, un poulain, le mot ne permet pas vraiment de comprendre tout de suite et on peut tout à fait, à 6 ans et même 7 ans, n’en avoir jamais croisé de sa vie. Il faudra juste penser à souffler aux concepteurs de jeux vidéos de mettre un poulain dans leurs prochaines versions de Fornite, si pour une fois ils peuvent (un peu) aider les maîtresses, ce serait cool.

« Alors, concentrez-vous encore un peu. Si je vous dis que le poulain est le nom du bébé d’un animal que vous connaissez tous, est-ce que ça vous aide ?
– Oui ! Alors le poulain, c’est le bébé du poulet !
– Nooooon, n’importe quoi ! C’est le bébé du poisson !
– Mais nooooon, le poulain, je sais, ma mère elle me l’a dit, c’est le bébé de l’oiseau. 
– …. »

A pas feutrés, pour ne pas trop les déranger et surtout tenter de ménager mon désespoir, je me glisse derrière mon bureau. Sur mon ordinateur, je clique sur l’icône magique et je demande à Google de prendre le relais. Les images des poulains se sont affichées sur le tableau et J. glorieux, bien plus fier qu’Artaban, a claironné : « Aaaaahh, c’est le bébé du chevaux, je le savais ! ».

5 réflexions sur « Le poulet, le poulain et la maîtresse. »

  1. Un peu de légèreté dans ce monde de brutes… Merci. Merci 1000 fois pour le plaisir à chaque fois renouvelé de te lire.

    Cordialement,

    Frédéric.

  2. Et à qui on dit merci Anouk ? A Google !!!

    Alors j’ai envie de te raconter une histoire, je ne sais plus si je te l’ai déjà racontée mais à mon âge on a bien le droit de radoter surtout en ces jours consacrés aux femmes et au féminisme…
    C’était en 2005 je crois, les débuts des moteurs de recherche…
    Nous étions avec des élèves dans un tout nouveau Point Cyb et je demande aux élèves quel est leur animal préféré pour en chercher des images sur le Web et les imprimer pour montrer à leurs parents les bienfaits de la technologie moderne et tout l’intérêt de Google en particulier…
    Lucas, innocemment demande à trouver une photo de chatte…
    Je lui épelle le mot dont il tape à grand mal les lettres sur le clavier
    C-H-A-T-T-E
    Goggle tourne, moins rapidement qu’aujourd’hui et les images voulue s’affichent lentement sur l’écran…
    Sauf que la première image n’est pas celle d’une Chatte que j’attendais…
    J’avais heureusement à l’époque des réflexes plus rapides qu’aujourd’hui et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire j’avais fait le nécessaire pour éviter la catastrophe…
    Enfin je pense puisque Lucas n’a rien manifesté de particulier sur le moment , ses parents non plus après qu’il soit rentré le Week-End chez lui…
    Je n’ai jamais osé lui poser la question de ce qu’il avait vu ou pas vu sur l’écran…
    Je n’ai su par la suite que son père était directeur d’un important établissement catholique…

    C’était la Préhistoire du Web et il y a de toute façon prescription aujourd’hui 😉 !!!

    @t… alain

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