Laissons les sucrer les fraises.

Il y avait un peu plus que du désespoir sur mon visage quand, pour la cinquième fois de la journée, je cliquais sur la petite fenêtre me permettant de voir combien de mes chers élèves s’étaient aujourd’hui connectés sur l’ENT. Fort probable qu’une petite voix ait tenté à ce moment -là de me souffler quelque chose comme “Ah bah celui-là, ça ne m’étonne pas qu’il ne se connecte pas, il n’en fout jamais une”. Je ne l’ai même pas entendue, encore moins écoutée et j’ai fermé d’un geste un peu nerveux l’écran de mon ordinateur, bien décidée à ne pas confectionner aujourd’hui de nouveaux jeux en ligne sur le son [oin] ou les nombres de 60 à 69, tant leur succès semblait loin de faire l’unanimité.

J’étais en colère, et je le suis encore.

Parce que cette petite voix là dit n’importe quoi.
Parce que celui-là, si il ne se connecte pas, c’est parce qu’il n’a pas d’ordinateur.
Parce que celle-ci, si elle ne répond pas, c’est parce qu’elle ne sait pas lire les consignes et que sa mère non plus.
Parce que tous ceux-là, s’ils ne renvoient pas les fiches, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé de table pour s’installer, ni de silence pour travailler.
Je suis en colère qu’on ne les respecte pas et qu’on me demande,à moi, d’exiger d’eux bien plus qu’ils ne peuvent.

J’ai pensé à ce moment là à partir ramasser des fraises, mais je n’ai pas su quoi cocher sur l’attestation de sortie.

Alors j’ai pris mon téléphone et j’ai remonté le fil des nombreuses conversations WhatsApp du moment. J’ai lu, relu, et j’ai compté le nombre d’amis qui m’avaient écrit avec bien plus de désespoir que moi pour m’appeler au secours: “Aide-moi toi qui es maîtresse, l’école à la maison, je n’y arrive pas !”. J’ai relu mes réponses, qui commençaient par “Envoie moi la fiche, je te dirai” et qui se terminaient toutes, sans exception par, “Laisse tomber, fais un gâteau avec lui, demande lui de compter les oeufs et ce sera aussi bien.”

Parce que oui, ce sera aussi bien.
Ce sera même encore mieux.
Ce sera même dix fois mieux.
Parce que vous vous parlerez, parce que vous rirez, parce qu’il ne se rendra pas compte qu’il est justement en train de compter.

Parce que faire un gâteau avec son enfant ne nécessite ni ordinateur, ni imprimante, ni bureau, ni silence.
Parce que rire avec lui en comptant le nombre d’oeufs qui resteront après rapportera autant à tout le monde.

Sauf qu’il en manquera peut-être pour la tarte aux fraises.
C’est pas grave.
Les fraises, on les sucrera.

6 réflexions sur « Laissons les sucrer les fraises. »

    1. bonjour,
      j’ai tellement d’autres témoignage sur l’école à la maison.
      Tant de témoignages d’enfant, de maman et de papa qui travaillent ensemble, cherchent, trébuchent, rient ensemble grâce à ses devoirs à la maison…
      Tant qui attendent le résultat de l’exercice, l’appréciation comme étant le fruit d’un travail collectif, de famille. Tant de collègues qui expérimentent, travaillent ensemble, professeurs, vie scolaire, administratifs, personnel de service…
      Alors oui c’est difficile, oui on souffre, oui c’est simple pour personne mais j’en ai un peu assez de cet esprit qui voudrait que rien ne vaut d’être essayé. Que l’on attende toujours tout de la haut, de tout la haut. Bonne journée et bon courage.

  1. Cet article est tellement vrai. Lorsque nous avons découvert tout ce qu’il fallait avoir/connaître pour cette fameuse continuité pédagogique, nous, parents avons cru défaillir. Et pourtant pour ma part je suis secrétaire de direction et mon mari informaticien. Lorsque l’on a dû ouvrir le compte école direct sur le portable qui rame de ma fille, lorsque l’on a dû essayer de faire en sorte que la connexion à internet sur son pc soit plus rapide à l’étage avec un bloc amplificateur wifi, je me suis dit mais nous on galère alors qu’est ce que ça doit être pour les enfants/parents qui n’ont pas notre chance. Qui n’ont qu’un PC (si encore ils en ont un), qui n’ont pas d’imprimante (parce que oui certaines fois on a eu aussi besoin d’imprimer des documents pour que ça soit plus lisible), qui n’ont pas la chance d’avoir chacun leur chambre avec leur bureau ou effectivement qui n’ont tout simplement pas de box internet.
    Le fossé va encore se creuser entre ceux qui peuvent être soutenu et les autres. C’est des semaines à venir où on laisse des gamins sur le bord du chemin, contrairement à ce que pense Mr Blanquer.
    Vous avez toute mon admiration pour le travail que vous faites.
    Bon courage,
    La famille R

  2. Merci, parce que tout simplement nous n’avons pas demandé à tous les autres corps de métiers d’en apprendre un pendant le confinement. Parce que oui ceux qui sont à la maison peuvent faire un peu, mais ceux qui doivent faire leur 8h de boulot en télétravail, ceux dont les deux parents bossent encore à l’extérieur Essayons du mieux que nous pouvons,ce sera déjà bien.

  3. Bonjour Anouk….

    Oui la DISTANCIATION SOCIALE se manifeste cette fois à visage découvert …
    Mais tes élèves et toi n’avez pas encore l’âge d’aller sucrer les fraises …

    Non !!! ça c’est bon pour les Vieux Instits comme moi 😉 ….

    Alors, j’ai envie de te dédier un article que j’ai écrit ce matin sur mon blog…
    Il s’appelle « La Ferme !!!  »

    http://www.lereveil.info/2020/03/la-ferme.html

    Et je vais me remettre à Hot Potatoes …

    Bon Courage ( … )

    @t… alain

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.