Ne sait quand reviendra.

Mes lèvres ont formé un sourire en même temps que mes sourcils se sont froncés.
Tu as vu, moi aussi je deviens adepte du “en même temps”.

Mon envie d’y retourner s’est mise à crier alors que mes boyaux se tordaient.
Tu as vu, moi non plus je ne sais pas trop où j’ai mal, en ce moment.

J’ai pensé à eux, je me suis dit qu’ils me manquaient, qu’il fallait vraiment qu’on se revoie.
A J., à G., à I. et à tous les autres.
A E. qui trépigne de me montrer comment il pose les additions.
A M. qui avait enfin obtenu sa place dans une classe adaptée à son handicap.
A G. qui rame, rame tellement à faire les exercices que je lui ai laissés.
Oui bien sur, il faut qu’ils retournent à l’école. Il faut qu’on cesse de creuser ce qui ne sont plus des écarts mais des tunnels entiers. Il faut qu’on les remette sur ce pied d’égalité que nous construisons pierre après pierre depuis le début de l’année.

Je me suis mise à la place de J., me suis souvenue du signalement qu’on avait fait il y a quelques mois. A cause des chiens qui dormaient dans la même chambre que lui, des coups que Tonton portait sur Maman alors que Papa n’était pas là. Des pleurs, des cris et des vêtements qu’on ne changeait jamais.
Je me suis glissée dans le petit appartement de A.. J’y ai vu ses quatre frères et sœurs, j’ai cherché une table pour qu’il fasse ses exercices. Je l’ai vu plisser les yeux en essayant de lire les consignes et abandonner parce que Maman ne sait pas lire et ne peut pas l’aider.
Oui bien sur, il faut les sortir de là. Il faut les autoriser à revenir entre ces murs qui les rassurent un peu, entre ces parenthèses qui les font respirer parfois.

Et puis j’ai pensé à nous.
A eux. Ils sont, nous sommes 800 000. Rien que ça.
Combien sont obèses ?
Combien sont diabétiques ?
Combien sont asthmatiques ?
Combien ne savent pas que leur cœur est fragile, que leurs poumons n’y survivront pas ?
Et moi, qui me dis que je ne crains rien, que j’aime autant l’attraper, m’immuniser et qu’on n’en parle plus. Et s’il y avait en fait quelque chose que je ne soupçonne pas et qui m’enverra dans un de ces si peu nombreux lits de réa ?

Je suis un soldat alors.
Et c’est au front que tu m’envoies.
Soit.
Mais les armes que tu fournis aux autres ne me serviront pas.
Je n’enseignerai pas le son que font les lettres avec un masque sur le nez.
Je ne pourrai pas empêcher I. de mettre les crayons dans la bouche, ni G. d’éternuer en postillonnant sur la table, ni même Z. de me tendre dans un grand sourire cette dent qu’il a enfin perdue.
Il me faudra prendre les cahiers, tenir les mains pour accompagner les gestes d’écriture, contenir G. quand la colère l’emportera.

Si nous sommes des soldats, alors avant d’aller au front, juste, promets-moi : tu ne nous sacrifies pas ?

19 réflexions sur « Ne sait quand reviendra. »

  1. Bonjour, j’aime beaucoup votre texte.
    Cependant, je me pose la question suivante : oui, mais on fait comment alors ? Le but de ce confinement c’est bien de nous permettre de ne pas attraper ce corona tous en même temps afin de ne pas engorger les services hospitaliers dédiés.
    Alors le retour progressif de toutes les activités dont l’école c’est permettre une contamination de notre population plus importante qu’elle ne l’est actuellement afin de nous en immuniser.
    Il va falloir qu’on atteigne une immunité collective sauf à trouver un vaccin….Mais ce dernier ne sera mis au point qu’environ l’année prochaine….alors…
    Et d’ici mai on trouvera peut-être des traitements pour mieux nous en protéger.
    Je vous souhaite une belle journée
    Cordialement
    Martine BERRIVIN POUPARD

    1. Je suis bien d’accord avec vous, le problème n’est pas simple.
      Reste que nous aurions aimé quelques mots d’accompagnement, quelque explication de texte sur la manière dont les 800 000 enseignants que nous sommes allons être protégés. Nous ne pouvons travailler avec des masques ni avec des gants et beaucoup d’entre nous risquent leur vie en attrapant ce virus. Comment faire ?

      1. Très beau texte et intérrogation, je suis assez d’accord avec Martine. Toutes les corporations ont la même problématique, certaines n’ont pas eu un mois pour se préparer et sont entrain de vivre l’exposition. Nous vivons quelque chose d’inédit donc les réponses ne viennent pas automatiquement. Il me semble avoir lu que votre ministre de tutel appel à une reflexion sur ce retour, peut être votre participation serait intéressante sur ce sujet?

      2. C’est vrai que ce n’est pas simple.
        Mais hier soir, ce n’était pas son rôle par rapport aux qq mots d’accompagnement et explications de texte et puis notre Ministre de tutelle commence à expliquer certaines choses.
        Vous occultez l’immunité totale vers laquelle la population française doit se diriger. Ce qui signifie que 60 % de la population sera atteinte.
        Le but du confinement n’est pas de se protéger soi mais bien d’étaler l’épidémie….
        Donc, pour moi, il prudent d’attendre ce qui va être préconisé dans les jours, semaines à venir…
        Et vu la réaction des syndicats je ne me fais guère d’illusion sur un consensus et la sérénité des débats.

    1. Il ne s’agit pas de monter une profession contre une autre, ni même de distribuer les bons et les mauvais points de courage et de prise de risque. Bien sûr qu’il faudra rouvrir les écoles et c’est ce que je défends dans ce texte. Mais ne méprisons pas les enseignants, pensons aussi à ceux qui présentent des risques, accompagnons les, proposons des solutions précises et adaptées. Les gestes barrière sont inapplicables dans une école et tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un nid infectieux. Ne précipitons rien et ayons juste la décence d’essayer de les protéger, ni plus ni moins que n’importe quelle profession.

  2. Chère Madame,
    Je peux comprendre que tout cela pose des questions et que vous demandiez des réponses.
    Il est important que les modalités pratiques soient pensées et vous soient expliquées en temps utiles.
    Mais sur le seul plan des principes, je ne crois pas que votre métier vous expose plus que les agriculteurs, les caissières, les transporteurs, sans parler du personnel médical, exposé tous les jours à de grands dangers et plus généralement de toutes les professions qui poursuivent leurs activités pour notre bien commun.
    Nous devons tous être courageux et solidaires. Le pays a besoin de vous comme vous avez besoin de l’engagement de beaucoup d’autres personnes pour pouvoir continuer à vivre. Merci pour tout ce que vous faites.

  3. Merci de votre précision, j’ai juste eu peur de vous entendre relayer le discours syndicaliste honteux du jour sur le thème « les enseignants sont les sacrifiés de la République »

    1. Monsieur Marin je ne comprends pas votre propos j’imagine que vous avez de quoi manger dans votre cuisine et c’est grâce à des soldats/esclaves que ces produits arrivent sur votre table? Si tout le monde effectue son « droit de retrait » comment allez vous survivre? L’eau, l’électricité entre autres n’arrivent pas spontanément chez nous? Comme le précise Martine nous confondons certainement les raisons et je trouve que la surenchère alarmiste qui n’est pas de votre imagination nous pousse à croire n’importe quoi. Que les enseignants discutent des modalités de leurs retour me semble primordial et normal. De parler de droit de retrait avant même une explication ou discussion me fait penser que pour d’autres professions qui n’ont pas eu cette chance à manque de considération de votre part, l’esclave esclavagiste ?

  4. Bonjour, bravo encore pour votre texte et pardonnez s’il vous plaît la teneur crue et désabusée des propos qui vont suivre. Oui, vous et tous vos collègues, de même que le personnel soignant, êtes les soldats de ce qu’on nous présente comme une « guerre ». Vocable utile s’il en fut, pour précisément générer des sacrifiés, car un soldat qui revient d’une bataille en vie n’a eu que de la chance. La chance d’avoir les bonnes armes, mais surtout de ne pas être au mauvais endroit au mauvais moment. Comment espérer qu’un mégalomane pour qui certains êtres humains « ne sont rien » fasse un choix un tant soit peu rationnel et humaniste, et se refuse à sacrifier ceux qu’il considère comme des esclaves et qu’il a renommés « soldats » ? Esclave et soldat sont sacrifiables à merci. Il glorifiera votre sacrifice, mais il est précisément en train de vous envoyer au mauvais endroit, au mauvais moment. Sans armes. Exercez votre droit de retrait, restez en vie, nous avons tous besoin de vous.

  5. Je peux comprendre un syndicaliste dont le rôle est de défendre les salariés … mais là j’ai honte , j’ai honte de voir travailler jusqu’à la mort les médecins, les infirmiers… mais aussi éboueurs, caissières, etc ; et voir les enseignants faire les chochottes ; tenir des discours enflammés sur les inégalités dont souffrent leurs élèves et ne même pas s’apercevoir que ce sont les enfants de ces mêmes éboueurs, caissières etc…
    Honte à cette génération élevée dans le coton ! honte à ces syndicalistes aux discours formatés qui ne proposent rien d’utile sinon d’avoir un masque (quels cons!), quelles initiatives prennent-ils, que proposent-ils pour se mettre en ordre de bataille ? révolutionnaires en peau de lapin, enfants tristes d’une utopie qui se termine tristement accrochés à leurs RTT…Ils ne veulent pas ouvrir la classe …qu’on les réquisitionne et qu’on les envoie façon Mao Tsé Toung dans les campagnes arracher les asperges…Qu’ils se taisent!

  6. Très beau texte qui exprime toute l’ambiguïté de notre métier. L’envie viscérale de revenir en classe, de revoir mes élèves. Difficile d’enseigner à distance, difficile de déléguer aux parents mon travail ( surtout quand l’école a été pour eux une source de déchirement, je les remercie d’ailleurs pour leur implication), difficile de téléphoner aux familles pour savoir si la structure familiale n’est pas en train d’imploser… Les bruits allaient bon train : reprise le 4 mai, mi-juin, voire même en septembre. A ce jour, même dans un mois je ne suis pas sûre que les conditions seront propices pour une reprise en toute sérénité. Mais je comprends que la situation économique de la France est en passe de devenir catastrophique.
    Tous ces constats mis bout à bout m’amènent à dire que je reprendrai le 11 mai.
    Bon soldat, je ne sais pas mais solidaire et civique oui.
    Ce que je n’accepte pas du tout par contre c’est une fois de plus d’avoir été prise pour une imbécile ( et encore le terme est faible). La gestion de cette pandémie aura été pour le moins chaotique et propice aux mensonges éhontés.
    Il y a eu le mensonge « masque », « fermeture des écoles, jamais!!! » et maintenant, la reprise des classes pour remettre sur les rails des enfants décrocheurs.
    Non, soyons honnête, les parents doivent retournés travailler, mais que font-ils de leurs enfants? Pas de retour à l’emploi sans la réouverture des écoles et des crèches.
    Pour une fois, l’honnêteté aurait été la bienvenue!

  7. Texte intéressant. Aucune intention de monter une profession contre une autre mais qu en est il des services publics et du devoir de servir ? À vous lire, j ai la conviction que votre métier compte pour vous et que vous avez de vraies convictions, cependant comme dans tous les corps de métier ce n’est pas le cas pour tous. Quand je vois ce que les professeurs demandent à mes enfants en 6e et 4e,honnêtement, je suis désespéré. Quand un prof fait attendre des enfants plus d une demi heure en leur indiquant qu’il n estime pas nécessaire de faire une visio ou donner des explications, ceci montre bien l implication de certains. 4 profs sur 10 jouent le jeu et je tiens a remercier leur professionnalisme, leur implication et leur possibilité d adaptation. Pour ceux restant dans la catégorie du moindre effort je vais économiser mes mots pour ne pas être désagréable. Je crois qu il serait temps à la fin de la période qui va suivre, de faire un bon tri dans la fonction publique. Concernant le milieu hospitalier, ephad et j en passe, le droit de retrait pour certains, n’est qu’un fantasme. Il est désespérant de voir qu’à l’hôpital oui, les soignants portent des masques. Ces masques ont pour utilité de ne pas contaminer les patients et en aucun cas protéger les soignants. Donc je me permets de citer une phrase lue récemment : au front sans armes. Désolé pour ce texte un peu brouillon mais simplement écrit sous le coup de l émotion.

  8. Et oui pleins de personnes sont au front avec vous n oubliez pas tout le personnel qui vous entourent tous ceux qui vous aident dans les tâches préparatoires ….qui surveillent les siestes … la cantine ceux qui nettoient les classes les sanitaires qui mouchent les nez changent les petits soignent les bobos et j en oublie associez les a votre combats eux aussi sont là et sans armes eux aussi ont peur pour leur famille!!

  9. Bonjour,
    Les bons sentiments et la réalité ne vont pas toujours ensemble.
    Quand on parle de risques, dans le Grand Est, aucun mort de 0 à 19 ans, et 95% des décédés en milieu hospitalier ont plus de 60 ans. Pire encore, en rajoutant les décès en Ehpad, 95% ont plus de 70 ans.
    La charge virale est la plus importante chez les enfants, avec peu de risques pour eux.
    Les experts considèrent que l’épidémie s’arrêtera à partir de 60% d’immunisation.
    Il est donc intelligent de recommencer à envoyer les enfants à l’école. Le confinement, à terme, ne permet pas d’atteindre ce chiffre. Il a principalement aidé les soignants à tenir le choc.
    En poursuivant le confinement des aînés, on peut atteindre l’objectif avec un moindre risque.
    Portez- vous et protégez-vous

  10. Merci pour ce très joli texte.
    Qui n’en déplaise aux grincheux, me semble d’abord refléter vos émotions, ce que vous faites si bien.
    Emotions qui sont bien compréhensibles, même si chacun à ses problèmes et que les autres en ont donc aussi.
    Mais vous les exprimez merveilleusement bien.
    Continuer. Ca fait chaud au cœur.

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