Quoi qu’il nous en coûte.

Photo David Franklin

Je suis venue la trouver pour savoir comment il allait. Comment il se comportait quand il n’était pas avec moi, dans notre petit groupe où nous jouons, mimons, bougeons. Comment il s’en sortait quand il baignait des heures d’affilée dans cette langue qu’il ne maîtrise pas encore, même s’il redouble d’efforts pour l’entendre, l’apprivoiser et la faire sienne.

Elle m’a regardée fixement, a posé ses mains sur ses hanches et m’a répondu : « Rien, il ne fait rien », en insistant sur le R, comme s’il pouvait représenter à lui seul toute la colère qu’elle voulait exprimer et un peu du mépris qu’elle semblait lui réserver.

Les mots qui voulaient sortir de ma bouche n’étaient pas les bons, alors je les ai ravalés. Je n’ai pas souri, j’ai juste soutenu ce regard et essayé d’y lire la bienveillance que j’aurais aimé y trouver. Le lendemain, quand je l’ai ramené dans cette classe où les autres le regardent avec tant d’étrangeté, j’ai senti mon ventre se nouer et aurais tout donné pour ne pas l’y abandonner.

Alors je les ai tous regardés. Celui-là donc, qui ne parle pas le français. Cet autre-là, pour lequel associer des consonnes et des voyelles est si couteux, même du haut de son mètre soixante. Celui-ci, qui ne parvient pas à comprendre comment autant de zéros peuvent vouloir signifier une quantité. Et puis ce bonhomme, juste à gauche, dont le cerveau va si vite qu’il préfère balancer sa chaise que d’enchaîner les si nombreux exercices qu’on a jugé bon de lui imposer.

Je les ai tous observés et je me suis autorisée à rêver : et si on leur donnait une chance, à tous, un par un ? Si on cessait de penser qu’ils sont les mêmes? Si on lâchait un peu nos manuels si colorés, nos programmes si engoncés, nos exigences si uniformisées ? Si on arrêtait d’y voir un troupeau mais qu’on les regardait pour ce qu’ils sont : des individus, uniques, spéciaux, particuliers.

Avec ce point commun, le seul, celui qui doit nous guider : le droit d’apprendre, quoi qu’il nous en coûte.

6 réflexions sur « Quoi qu’il nous en coûte. »

  1. Comment les adultes de l’école peuvent-ils continuer à ignorer qu’ils travaillent avec des enfants, pour qui tout ou presque est ou peut être découverte ? Ont-ils oublié leurs yeux à eux, agrandis par le bonheur, et leur sourire édenté, quand ils ont découvert le sens de ces signes dessinés sur du papier ?
    Nombre d’entre nous oublient que découvrir est sans doute le travail le plus difficile (mais aussi le plus intéressant) des enfants. Nombre d’entre nous ont oublié que nous sommes là pour placer devant eux ce qui va les inciter à découvrir, puis à chercher, et à ré utiliser (ou pas). Nombre d’entre nous ont oublié que l’émerveillement entraîne l’émerveillement, qu’être gentil avec un autre permet d’atténuer ses angoisses (même si cela ne les résout pas), que regarder ensemble une idée ou un objet permet d’en discuter…
    J’ai mal des instits qui savent, des instits qui rejettent, des instits qui ignorent. Parce qu’on peut être à la fois « sachant » et « ignorant ». Peut-être faut-il le redire, et le redire encore.

  2. Il faut un cade ,grand ou petit,pour rassurer des enfants.ensuite, éventuellement,on peut mettre en place une stratégie d’apprentissage plus où moins longue et élaborée, adaptée à quelques groupes d’enfants interchangeables suivant leurs progrès.si tu te lance dans l’individuel, tu y laissera ta santé,te demotivera et tu iras à l’encontre de ce que tu souhaites.bon courage.un Instit jeune retraité 👋

    1. Oui bien sûr, un cadre, un lieu commun, des objectifs communs. Mais les moyens d’y parvenir doivent être adaptés a chacun. Merci et bonne retraite !

  3. Je ne travaille plus et ne travaillerais plus pour cause de maladie mais sur ma fin de carrière j ai souvent constaté le manque de « bienveillance  » envers les enfants différents (et leurs parents) . Il faut que les enfants rentrent dans le moule. On est restés très en arrière . Les suppressions des reseaux d aide des classes d adaptation ont également contribué à cela. Il faut plus de liaison entre les intervenants mais sur quel temps? Ce n est pas entre 2 portes qu on peut échanger avec le ou la collègue qui ramène un enfant . Sans compter que nos jeunes collègues ne sont pas toujours au courant de l aide qui peut être apportée à ces enfants. Formation insuffisante…

  4. Oui Anouk, le « droit d’apprendre quoiqu’il nous en coûte »…
    Pour les élèves, pour les Enseignant(e)s aussi qui doivent accepter de ne pas tout savoir et refuser de n’être considéré(e)s que comme des Courroies de Transmission d’un Savoir Formatisé…

    « Lire c’est comprendre. Apprendre à lire c’est Apprendre à Comprendre. »
    (Eveline Charmeux)

    @t… alain

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