D’ailleurs et de la lune.

Couverture du livre « Mon petit frère de la lune », de Frédéric Philibert

“On vivait en Arabie Saoudite depuis 14 ans, les enfants allaient à l’école, je travaillais…”. Il marque une pause le temps que l’interprète traduise ses mots, passe sa main sur son visage et poursuit. “Et puis ils nous ont expulsés, ils nous ont mis dans un avion, pour qu’on retourne au Yémen, sous leurs bombes”. Pour imiter son fils, le père pose ses mains sur ses oreilles , penche le corps d’avant en arrière et dit que ça allait un peu mieux, jusque là, que K. était suivi, accompagné, que, oui, les docteurs avaient parlé d’autisme mais qu’en étant accompagné, il s’en sortirait. Personne n’ose se regarder autour de la table. Le papa ne s’arrête pas pour autant, il raconte cette année sans école, sans travail, sans rien, juste avec la peur.

Sur les nombreux documents qui jonchent la table, il faut cocher des cases, détailler un « projet de vie », préciser les demandes, argumenter, justifier. Il est d’accord pour tout. Une AVS, bien sur. Des soins au CMP, s’il le faut. Les acronymes ne lui disent rien mais il comprend qu’on va l’aider, que K. y arrivera parce qu’il est intelligent, c’est la psychologue qui le dit, parce qu’il aime les mathématiques, ajoute la maîtresse, parce que s’il ne prend que très peu la parole et refuse encore de faire des phrases entières lorsque je lui apprends le Français, il bredouille, et écoute tout ce qui se passe, même quand ses yeux regardent ailleurs et que son corps refuse de rester assis sur la chaise.

La semaine dernière, K. s’est battu. Lui qui marche d’ordinaire seul pendant de longues minutes autour des arbres de la cour n’a pas supporté d’entendre un camarade s’en prendre à F., le copain qui lui prête gentiment son AVS, pendant la classe. Il a exigé du garçon qu’il s’excuse, l’autre a refusé. Alors K. s’est emporté. Ses mains qu’il tord d’habitude sous la table ont parlé pour lui. Ensuite, il a pleuré, longtemps. “A la maison, il pleurait encore, raconte Papa, il répétait qu’il n’aurait pas dû faire ça. Mais il disait:“Papa, c’était injuste, c’était injuste””.

C’est ça K. Injuste.

Une réflexion sur « D’ailleurs et de la lune. »

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