Malgré tout.

Il est des certitudes qui ne demandent qu’à vaciller.
Pourtant, on leur plante les pieds dans le sol et on s’obstine à les faire tenir debout.
Il n’y a que le temps qui les érode, jour après jour, et leur permet, parfois, de s’écrouler.
Le temps et les rencontres.
Les confrontations avec celles et ceux qui vivent ces certitudes de bien trop près, et n’ont finalement que peu de choses à faire ou à dire pour vous aider à les bousculer.

J’avais déjà perdu mes moyens, la première fois.
Il y avait cette case vide, sur la fiche orange qu’ils nous ramènent en début d’année.
Vide et barrée d’un grand trait.
Au-dessous, Papa avait écrit “décédée”.
Je l’ai relue plusieurs fois et j’ai essayé d’oublier.
J’ai tout fait pour ne pas en faire état, pour ne pas le regarder autrement.
Je le savais et cela devait me suffire.
A l’intérieur, pourtant, j’étais effondrée.

J’ai appris à le connaître.
A comprendre ses envies que je le regarde, ce besoin permanent que je le félicite, ce “moi je” qui revient sans cesse dans sa bouche.
Comme tous les autres, sûrement.
Peut-être juste un peu différemment.
Je n’ai pas voulu l’empêcher de s’attacher.
Je lui ai sans doute laissé la porte un peu plus ouverte que je ne l’aurais dû.
Mais cette case vide était là, toujours pas loin de lui, et j’avais l’impression que c’est ce que je lui devais.

Un jour, Papa m’a raconté.
La tumeur depuis longtemps détectée.
La vie qui a continué de couler.
Cette douleur qui un jour l’a paralysée.
Cette toute petite semaine qui a fini par l’emporter.
Ensuite, nous n’en avons jamais reparlé.

Jusqu’à ce message, que je me suis décidée à lui envoyer.

“Nous préparerons la semaine prochaine un cadeau pour la fête des mères.
Comment souhaitez-vous que je lui présente les choses ?
Le fera t-il pour vous ? pour sa Mamie?”

Avec tout ce que ce message peut comporter d’indélicatesse, j’ai marché sur mes gros œufs et attendu cette réponse en me disant que j’avais peut-être merdé. Que ce cadeau, on pouvait sûrement s’en passer. Que rien ne nous y obligeait. Que si ça le blessait, alors je préférais abandonner.
C’est là que mes petites certitudes ont commencé à s’agiter.
Les quelques mots qu’il m’a répondus ont suffi à les balayer.
“Non, il le fera pour elle, comme chaque année, et sera ravi de le faire, vous verrez ! Nous lui apporterons ensemble et ce sera un joli dimanche que nous passerons tous les trois, malgré tout.”

L’amour, c’est…

On ne se connaissait pas.
Enfin si, moi je le connaissais, j’en avais entendu parler, j’avais vu, aimé ce qu’il faisait, ce qu’il disait.
On ne s’était jamais vus, jamais parlé.

C’est drôle parce que quelques jours avant, je m’étais dit qu’il faudrait que je lui parle, que je lui dise, que je lui demande si je pouvais, s’il était d’accord pour être là, ici, avec moi, sur ce blog, par ci par là.

Et puis c’est lui qui m’a contactée.
Pas directement, non, je vous ai dit qu’il ne me connaissait pas.
Non, il a dit à B., qui l’a dit à C., qui me l’a dit.Il nous a demandé, à tous, de lui parler d’amour.

Comme ça, c’est tout.
Lui parler d’amour.
Tiens.

Et lui dire quoi sur l’amour ?
Justement, lui dire ce que c’était l’amour.

Il a dit qu’il le lirai, puis qu’il le dessinerai.
Il l’a fait.

J’ai transmis le message à M., à J., à A., à G..

La boule de neige s’est emballée.
On en a tous parlé.
On lui a tous dit ce que c’était, l’amour.

Il a tout dessiné.

Ils en ont fait un livre.
Et maintenant, il est à vous.

A vous de le lire, le regarder, l’offrir, le relire, l’aimer.

A moi de dire merci Jack Koch !

Lettre à D.

Et mes Champions du Monde à moi, alors ? Ils en sont où de leurs vacances ? Ils se reposent, ils révisent, ils se baignent ? Peu importe, ils profitent et ils ont bien raison. Aujourd’hui, c’est à D. que j’écris, mon Hugo Lloris à moi.

Salut D.

Ca va ?
Les vacances sont bonnes ?
J’ai du mal à en douter.
Tu m’as parlé plusieurs fois de ton petit jardin.
Même que Papa, une fois, il a oublié de venir te chercher parce qu’il était en train de « jardiner ». Ca m’a marquée, tu sais, parce qu’il n’y en a pas beaucoup, dans ma REPpublique, des Papa qui jardinent. Parce qu’il y en a peu, des jardins, chez les copains.

Tu sais que j’ai parlé de toi, l’autre jour.
Même que je leur ai dit, à ceux qui lisent par ici, que tu étais mon Hugo Lloris.
Si, si.
Non, rien à voir avec tes qualités de gardien de but. Les autres ne voulaient jamais que tu joues au foot avec eux, dans la cour, « parce que D., maîtresse, il rate tous les ballons ».
Non, mon Hugo Lloris parce que son Papa, à Hugo, il est banquier, comme ta maman.
Parce que Hugo, il avait un jardin aussi, quand il était petit.
Et parce que toi, tu es comme Hugo, tu t’en fous que tes copains ils n’aient pas de jardin et que leur Papa, ils ne soient pas banquiers.

On a passé une chouette année toi et moi D.
Tu te souviens les premières semaines, les premiers mois, quand je t’ai baptisé « ma tortue » ?
Une demie-heure pour écrire la date et la consigne.
On était tous passé à autre chose.
Ca t’a fait rire, un peu, mais pas que.
C’a t’a piqué, surtout.
Alors tu n’as rien dit, mais tu t’es battu.
Comme un Champion du Monde, tu y es arrivé.
Adieu la tortue, voici le lièvre.

Rapide et efficace aussi.
De plus en plus.
« D., relis-toi encore, encadre les verbes, souligne les sujets et tu trouveras tout seul tes erreurs »
Je le disais aux autres, aussi.
Mais toi, tu le faisais, scrupuleusement, rigoureusement.
Et je te voyais sursauter sur ta chaise et dire « Ahhhh ouiiii, là !!!! J’ai trouvé ! »

Bon, il a fallu quelques ajustements D., tu t’en rappelles aussi, je pense.
Parce qu’avec l’autre D. et M., vous étiez tellement copains, que ca dégénérait, des fois.
Les petites bousculades se sont transformés en coups de pied là où ça fait rudement mal, à ce qu’on dit. J’ai bien été obligée d’en parler à tes parents.

Bien oui, parce qu’en plus du jardin, tu as Papa ET Maman.
Ca aussi, il n’y en a pas beaucoup qui peuvent s’en vanter dans ma REPpublique.
Je les ai croisés d’ailleurs, l’autre jour, Papa et Maman.
Main dans la main, ils étaient beaux.

Quand je lui ai rendu le bulletin du deuxième trimestre, Maman m’a dit qu’elle était heureuse que tu sois là, dans cette école, dans cette classe, dans cette REPpublique.
Je lui ai répondu que nous aussi, on était heureux de t’avoir avec nous.

Des petits D., des grands Hugo, on en a besoin, comme des autres.
C’est ensemble que vous êtes beaux.
C’est ensemble que vous êtes vrais.

Champions du Monde, avant les autres !

Ma REPpublique à moi, elle est championne du Monde. De football, ça oui, depuis deux jours, mais de plein d’autres choses aussi : de respect, de diversité, de citoyenneté. Et depuis bien plus longtemps. Et on a même pas eu à battre qui que ce soit, pour en avoir des milliers, d’étoiles sur notre maillot.

Je suis comme vous. Oui, on est en Juillet, je suis dans ma classe, je range, je coupe, je colle, j’affiche, mais je garde un œil sur ce que qui se passe derrière le portail, aussi.
Alors j’ai bien vu qu’on était devenus Champions du Monde. J’en suis fière, comme vous.
J’ai bien vu aussi qu’ils étaient des milliers, des millions à marcher dans les rues, à crier, à applaudir, à danser et à boire.
J’ai bien vu qu’il y avait eu une petite sauterie chez Manu. Oups, pardon, Emmanuel Macron.
J’ai trouvé ça chouette.
Je les ai trouvés beaux, ces Champions du Monde.

Et puis je les ai regardés, tous, un par un.
Et je me suis rendue compte que dans ma REPpublique, ils étaient là aussi.
Oui, j’en ai une moi aussi d’équipe comme celle-là.

Dans ma classe aussi, il y a Kylian Mbappé. Le petit gars métisse, moitié Camerounais, moitié Algérien. Le mien, de Mbappé, c’est mi-Mali/mi-Maroc. Et sa banlieue à lui, c’est pas Bondy, mais ça y ressemble.

Pas loin, deux tables derrière, il y a Hugo Lloris. Oui oui, fils de banquière, comme Hugo. Bon, pas à Monaco et Papa n’est pas avocat, mais musicien. N’empêche que mon gardien de but à moi, il est de la haute aussi, on peut dire.

Et puis mon Lloris, son pote préféré, c’est mon Adil Rami. Quand je les ai vus chahuter sur le perron de l’Elysée hier, j’avais l’impression de voir les miens. Mon Adil à moi, il a le sourire scotché, version banane et jusqu’aux oreilles. Il n’a pas (encore) de moustache alors c’est avec ses cheveux qu’il s’amuse du matin au soir. Sauf quand « Maman, elle m’a mis du gel maîtresse ».

Toujours sur les images de l’Elysée, hier, je voyais Ngolo Kanté, le timide, se faire charrier par les autres. Pardon d’être là, qu’il avait l’air de dire. Lui non plus, il n’est pas radin sur les sourires. Quand je l’ai vu, j’ai pensé à H. Bon, c’est une fille, mais elle est discrète aussi. Un an et demi qu’elle est en France et elle s’excuse encore de déranger.

Ah oui, bien sur que j’ai mon Paul Pogba. Bien sur que j’en ai un, toujours prêt à faire rire et danser les autres, même en pleine séance de grammaire. Toute l’année, il a essayé de m’apprendre cette espèce de danse avec les bras qui passent un coup devant, un coup derrière. Je n’ai jamais réussi. Je dois avoir un problème de coordination.

J’ai un Griezmann aussi, les yeux bleus perçants, le regard toujours rêveur.
Un Varane, un Matuidi, jamais loin d’un Pavard.

Ils y sont tous.
Ils viennent de partout.
Aucun du même endroit.
Ils ne se ressemblent pas.
N’ont pas eu les mêmes chances, au départ.
Et pourtant ils avançent ensemble.

Ma classe, c’est l’Equipe de France, et des étoiles, je leur en accroche tous les jours, sur leur maillot.

Écrire tout ce qu’on ne s’est pas dit.

Dans ma REPpublique à moi, comme dans toutes les autres, on remplit des livrets. On coche des cases et on commente. Quelques lignes, pas plus, pour résumer quelques mois de vie commune. Et si on en écrivait un peu plus ?

« C’est bien, continue comme ça ! »
« Accroche-toi, tu es capable de faire encore mieux, je le sais ! »
« Il va falloir redoubler de travail pour que le CM1 se passe bien… »

Qu’elles sont courtes, qu’elles sont moches, qu’elles sont impersonnelles ces petites formules qu’on essaie, tant bien que mal, de contourner, mais sur lesquelles on retombe, invariablement, chaque fin d’année, quand il s’agit de remplir cette case si courte, si moche et si impersonnelle intitulée « Appréciation de fin d’année ».

Elles nous arrangent bien, aussi, ces formules et j’avoue que certaines d’entre elles m’ont permis d’économiser un peu de temps et d’énergie, ces derniers jours.

Oui mais.

Quand je les écrivais, j’imaginais les yeux de H., en train de les découvrir, elle qui les attendait si impatiemment. Je voyais M. espérer, croire que j’avais, peut-être, mis quelques mots d’encouragement malgré cette année que la déontologie m’empêche d’appeler catastrophique. J’ai entendu Y., aussi, demander à Maman de lui relire, encore, surtout le passage ou il y a écrit « quel progrès ! ».

Et je m’en suis voulue. Je me suis dit que ça ne suffisait pas, que je leur devais plus, bien plus. Que ces quelques mots si formels, si empruntés, si attendus ne pouvaient pas, jamais, résumer et graver dans le marbre dix mois d’échanges, de discussions.
Dix mois de vie commune.
Parce que dix mois, dans la vie d’un enfant de huit ans, ça vaut plus, beaucoup plus que quatre lignes et des formules toutes faites sur une feuille de papier.

Parce qu’en dix mois, il s’est passé bien autre chose que « mobiliser le vocabulaire récemment appris pour le réinvestir dans un texte ». Il y a eu tellement d’autres moments que celui où on a « résolu des problèmes impliquant les quatre opérations ».

Alors je me suis dit que j’allais leur écrire.
Longuement.
Sans formule.

Je ne pense pas qu’ils me liront, puisque je leur écrirai ici.
Mais ça sera dit.
Les grandes vacances approchent, on va se quitter, eux et moi.
S’oublier, peut-être, un peu.
Se retrouver, différents.
Alors je leur écrirai, un à un, ici, pour me souvenir, pour mesurer ce petit bout de chemin qu’on a fait ensemble.

J’écrirai sans doute à L. qu’il m’a échappé, que je n’ai pas réussi à l’attraper et qu’il m’en veut sûrement, que je le sais et que je le comprends..
J’écrirai ensuite à F. que j’ai adoré la rencontrer, la comprendre, la connaître. Que j’ai aimé la voir apprendre, grandir, comprendre, aider, aimer et s’aimer.
J’écrirai aussi longuement à M., je lui parlerai de nos discussions, pas toujours tendres, pas souvent calmes. Je lui dirai que je lui souhaite le meilleur, qu’un jour, peut-être, il se dira que j’avais raison. Peut-être pas.

Je vais leur écrire quelques mots à tous.
Chacun son tour.
Chaque semaine, si je m’y tiens.

Et vous qui les lirez, peut-être, vous apprendrez à les connaître aussi.
Parce que s’il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’ils méritent, tous, sans exception, que vous les connaissiez, que tout le monde les connaisse.

En attendant Papa.

Dans ma REPpublique à moi, on vit parfois au rythme des émotions des uns et des autres. On y croit avec eux, on n’y croit plus, parfois aussi. Et, heureusement, il nous arrive de nous tromper.

« Maîtresse, maîtresse ! Papa est là, il est venu ! »
K. a les yeux mouillés. Il est surexcité. Je crois que lui-même n’en revient pas.

Neuf mois qu’on se côtoie, K. et moi. Neuf mois qu’on apprend à se connaître, à s’aimer, parfois, même si on n’est pas obligés. Neuf mois qu’il me parle de lui, quand il peut, quand il va mal.

Papa, il est parti.
Papa, il ne me répond pas au téléphone.
Papa, il a une nouvelle famille.
Papa, il ne m’aime pas.

Ca, c’est quand il ne va pas bien. Quand il a menti. Quand il s’est écrit avec un stylo rouge sur la main et qu’il est venu me voir en m’assurant que c’était S. qui lui avait fait ça. Comme je sais qu’il a menti, et qu’il sait que je sais, il pleure. Beaucoup. Bruyamment. Et puis, après, longtemps après, il parle. De Papa. Qui n’est pas là. Et c’est pour ça.

K., il aime beaucoup Maman. Et Maman le lui rend bien. Les voir ensemble, c’est un peu comme voir des meilleurs amis parfois, des frères et sœurs une autre fois. Ils vivent tous les deux. K. aide Maman à préparer son examen. Elle veut devenir conductrice de taxi. Il faut réviser les maths, le français. K., il est doué, alors il l’aide. Et il l’aide bien.
On pourrait presque dire qu’ils se suffisent tous les deux.
Presque.
Parce que K., il lui manque Papa.

A chaque fois, juste avant les vacances, il vient me voir à mon bureau.
A chaque fois, il a ces mêmes yeux qui pétillent, ce sourire qui lui remonte jusqu’aux oreilles.
A chaque fois, il est sûr de lui, il y croit.
« Papa, il va venir me voir pendant ces vacances, maîtresse, j’en suis sûr ! »

A chaque retour de vacances, K. traîne les pieds, regarde le sol.
A chaque retour de vacances, K. se remet à mentir, à pleurer.
Je n’ai pas besoin de le lui demander.
Papa n’est pas venu.
Je commence à perdre espoir, moi aussi.

Hier, K. est entré dans la classe, n’a regardé que moi, avec un énorme sourire et s’est approché.
« Maîtresse, maman a réussi son examen !
– Génial K., c’est super ça ! Tu la féliciteras de ma part. C’est un peu grâce à toi, tu sais !
– Oui, je suis content pour elle.
– De toutes façons, je la verrai demain, vous venez tous les deux à la kermesse ?
– Oui, maîtresse et il y aura aussi Papa ! »

Je n’ai pas répondu. Je n’ai pas relevé. Je ne l’ai pas cru. Je me suis juste dit qu’il allait, encore, être déçu, très déçu.

Ils sont arrivés. J’étais en train de remettre en place le stand de jeu que je tenais, à la kermesse, quand j’ai relevé le regard et les ai vus, tous les cinq. K, maman, un homme, une autre femme et une petite fille.

C’est là que K. a couru vers moi. L’homme est venu me saluer.
« Bonjour Monsieur, je suis très contente de faire votre connaissance, K. parle beaucoup de vous.
– Ah bon ?
– Oui, il était vraiment très heureux hier quand il m’a dit que vous viendriez, très heureux.
– Ah. Oui, c’est vrai qu’on se voit peu, mais ça va changer. »

L’homme regarde son fils. K. a entendu. K. l’a cru.

Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ?

Dans ma REPpublique à moi, on se sépare, contre notre gré, pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, parfois. Mais on y pense, souvent, tout le temps.

Vacances de printemps.
Pour moi, pour mes enfants, ce sont les vacances dans les forêts, dans les champs, dans les rivières et cette année aussi, un peu, à la mer.
Pour moi, pour mes enfants, ce sont les vacances de la famille, des grands-parents, des arrières-grands-parents, des oncles, des tantes, des cousins.
Pour moi, pour mes enfants, ce sont les vacances du bonheur, des rires, de l’extérieur.

Mais pour eux ?

La rentrée, c’est dans deux jours. Je ne dis pas que j’ai pensé à eux tous les jours pendant ces deux semaines, mais je me suis, souvent, demandé ce qu’étaient leurs vacances de printemps, à eux. J’y pense encore un peu plus aujourd’hui.

A., arrivé de Syrie il y a deux mois. Il n’avait pas de chaussettes avant qu’on se quitte. C’est bien, il n’en a plus besoin maintenant. Son manteau était un peu trop grand, ses pulls un peu troués. Comment sont ces Tee-shirts ? En a t-il ? H., sa jolie petite sœur, qui sourit tout le temps et me répond, inlassablement « Ca wa bien, merci », a t-elle trouvé des jouets pour s’occuper pendant ces deux semaines dans ce tout petit appartement, dans cette petite chambre qu’ils partagent avec Papa et Maman ? Avec Maman, allongée, malade, depuis son arrivée, depuis leur traversée ?

A quelques rues de là, je me demande que ce M. a fait de ces vacances. Avant de partir, il m’a promis qu’il ne jouerait pas « trop » à la Play Station. Il m’a assuré qu’il lirait « au moins un livre, je te raconterai après maîtresse, promis ». Il m’a aussi juré qu’il ferait ses devoirs, cette fois, « tu peux me croire.  En plus, elle est jolie la chanson qu’on doit apprendre, maîtresse ».

Et K. ? Est-ce que Papa est enfin venu le voir ? A chaque vacances, il y croit, il m’en parle. « Je suis sûr qu’il viendra cette fois maîtresse, j’en suis sûr, il me l’a dit, au téléphone, je suis trop content ». Et puis à chaque retour de vacances, il fait la grimace, il est triste. Pas besoin de lui poser la question.

Oh, H., je sais ce qu’elle a fait de ses vacances ! Pas de rivière, pas de forêt, pas de Papi, ni de Mamie, trop loin. H., elle a révisé. Sans relâche. Comme si elle passait le Bac en rentrant. Elle a fait des exercices, puis Maman lui en a donné encore d’autres, puis elle en a réclamé encore. Elle a lu, beaucoup, elle a écrit, énormément. Elle aime ça H., presque trop.

Et E. ? Est-ce qu’il sera là lundi ? J’espère que non. Je l’aime bien, E., il apprend vite, il est gentil. Un peu brusque, presque violent, mais il s’améliore. Je l’aime bien mais j’espère qu’il aura enfin quitté ce petit hôtel dans lequel l’association les a placés, quand ils sont arrivés d’Albanie, le mois dernier. J’espère qu’avec son grand frère, ils auront trouvé un autre espace de jeu que la rue qui longe l’école, dans laquelle on les voit traîner avant, après, et même pendant, parfois.

Lundi, avec ou sans E., on va reconstituer notre petite famille, pour quelques semaines encore. Quelques semaines ensoleillées, brillantes, pendant lesquelles on va apprendre encore mais on va construire aussi. Il faudra préparer un beau spectacle pour la fin de l’année. Il faudra penser à de jolis cadeaux pour la fête des parents.

Il faudra aussi doucement préparer notre séparation, la vraie cette fois.
Se dire au-revoir.
Ou à bientôt.

Est-ce que tu m’aimes ?

Dans ma REPpublique à moi, quand on aime on le dit. Et quand ce n’est pas réciproque aussi.

J’avoue que je me suis sentie un peu honteuse.
Je suis arrivée avec mon air de méchante maîtresse et j’ai demandé, très fermement, à S. de me donner ce petit bout de papier que M. venait, pas tout à fait discrètement, de lui faire passer, en pleine séance de grammaire sur les compléments d’objet.

On peut dire que celui-là était pour le moins direct.
« Es que tu m’ème ? » avait écrit le garçon, de sa plus belle écriture.

Quand je lisais le message, je voyais le visage de M. se décomposer.
Sans réfléchir, je lui ai immédiatement demandé d’aller changer sa couleur sur notre petite échelle de comportement et d’aller se rassoir.

La tête dans ses baskets, M. a boudé.
S. a eu droit à la même sanction, mais semblait un peu moins affectée.

Pendant l’heure qui a suivi, M. m’a beaucoup regardée.
Je le regardais aussi.
Et je regardais le petit bout de papier.

NON avait écrit en très gros S., pour lui répondre.

Juste avant la récréation, M. est venu me voir.
Loin de lui l’idée de vouloir s’excuser pour le bout de papier.

« Maîtresse, est-ce que tu peux juste me dire ce qu’elle a répondu, s’il te plaît ? »
J’ai hésité. Et puis j’ai froissé le petit bout de papier.
« Elle n’a pas eu le temps de te répondre, M., j’ai pris le papier avant. »

Il a souri. Je ne sais pas si j’ai bien fait.