Mais oui, mais oui, les vacances sont (presque) finies.

Non, non, ne mentez pas.
Soyez sincères.
Avouez, vous l’avez fait.
Parlez-en, ça vous libérera.
Nommez là, cette jubilation intérieure quand, ce matin, vous avez appelé Arthur, 7 ans, qui jouait (presque) calmement dans sa chambre. Il est venu (au bout du cinquième appel, celui où vous avez hurlé « Je te dis de venir ici ») et, tout en lui caressant (tout à fait sincèrement) les cheveux, vous lui avez dit « Profite bien de tes jouets mon loulou, parce que dans trois jours, tu retournes à l’école ». Certains ont, je le sais, ajouté le rire sardonique qui va avec.

Réjouissez vous, festoyez.
Souriez, frottez-vous les mains.
Lundi, quand vous l’aurez déposé, vous aurez même le droit de danser quelques pas sur le trottoir.
Faites-vous plaisir.
Mais surtout, surtout, ne pensez pas à Elle.

Elle aussi, elle y retourne lundi.
Seule, avec eux tous.
Votre Arthur, votre Simon, son Gaspard, sa Lucie, Kylian, Habib, Rihanna et une bonne vingtaine d’autres.
Tous ceux-là dont les parents seront justement en train de danser (peut-être ensemble) quelques pas de polka sur le trottoir devant l’école.
Tous ceux-là qui n’en auront plus grand-chose à faire d’être sages, le barbu est déjà passé, de toutes façons. Qui n’auront pas franchement envie de l’écouter, Elle, mais plutôt de s’écouter, eux, se dresser les uns les autres la liste des cadeaux tombés de la hotte.

Ou plutôt, pensez-y un peu.
Juste un peu.
Parce que sachez qu’Elle ne vous juge pas.
Dites vous que ce matin, Elle aussi, Elle a appelé Arthur, 7 ans.
Elle aussi, Elle lui a caressé (tout à fait sincèrement) les cheveux.
Elle lui a rappelé aussi qu’il retournait à l’école lundi.
Et puis Elle s’est souvenue qu’Elle y allait aussi.

C’est là que je me suis mise à flipper.
Stresser.
Angoisser.
Du rire sardonique, on est passé aux tics nerveux.
J’ai envoyé tout le monde valser.
Il fallait absolument que je me mette à penser, tapoter, mettre en page, préparer, imprimer, photocopier, massicoter, afficher, corriger, programmer.

On va zapper le passage sur « oui, les profs eh bah même en vacances, ils travaillent », parce que pour le coup, sur ces vacances-là, j’aurais – comment dire – un peu de de mal à tenir le débat longtemps.
N’empêche que, les yeux rivés sur l’écran, les doigts cloués sur le clavier, le bureau jonché de manuels de lecture, de matériel de mathématique, de fiches à plastifier, d’une agrafeuse en grève et d’une perforatrice coincée, je n’ai pas vu la journée passer.

J’ai essayé de me rassurer, en pensant à D., qui, j’en suis sûre, aura fait un bond en lecture. A M., qui sera c’est certain capable de lire des textes tout seul, et de me les raconter après. J’ai souri aussi, en me disant que cette séance de maths, pour A., ce serait les doigts dans le nez, avec tous les progrès qu’elle a fait.

Oui, mais ce soir, quand j’ai levé la tête pour hurler « Arthuuuuuur, au baiiiiin !!! », il s’est approché, m’a caressé (tout à fait sincèrement) les cheveux et m’a dit « Profite bien Maman, parce que lundi, pour retourner à l’école, il faut être en forme ». Promis, je n’ai (presque) pas pleuré.

Dessin : Jack Koch

Lettre à S.

Dans ma REPpublique à moi, les vacances ont bien avancé. Encore deux petites semaines et on se retrouvera, tous, un peu inquiets, stressés sans doute. En attendant, on profite encore un peu. On oublie. Et je leur écris.

Salut S.,

J’ai failli commencer cette lettre en te demandant de me pardonner pour le retard. Mais je me dis finalement que toi, tu m’as sans doute déjà oubliée. Et tu as raison. Oublie-moi, oublie-les, oublie-nous, encore quelques semaines, quelques jours.

Oublie donc ces fois où, quand je me promenais dans les rangs pour observer votre travail, vous donner un coup de main si besoin, vous féliciter aussi. Ces fois où, quand je m’approchais de toi, de ton cahier, tu y mettais les deux mains, posées à plat. Tu fermais aussi ton visage, tes yeux, tout.
« Non, maîtresse, j’ai pas fini.
– Ce n’est pas grave S., je venais voir comment tu t’en sortais.
– (Silence). Je n’y arrive pas. »
Et pourtant S., tu savais, tu pouvais, tu aurais du y arriver. Être seule devant ta feuille te paniquait, t’angoissait. Avec la maîtresse debout, juste derrière toi, c’était sans doute bien pire.

Alors moi je voudrais aussi oublier ça. Je voudrais plutôt qu’on se souvienne toutes les deux. Qu’on se souvienne de ce jour où, traînant les pieds, tu es allée jusqu’au tableau. Je te demandais de résoudre, là, devant tout le monde, une multiplication à deux chiffres, seule. J’ai vu cette grimace sur ton joli minois. Et puis je t’ai vue t’appliquer, te concentrer, te déplacer jusqu’aux tables de multiplication affichées un peu plus loin, revenir au tableau, continuer, persévérer, ne pas te laisser perturber par le reste de la classe qui gesticulait, soufflait. Et y arriver. Cette fois-là, et toutes les fois d’après. Oublie le reste, S. et rappelle toi de ça.

Oublie-les aussi, eux, les garçons de la classe. Tes copains, oui je sais. Tes prétendants aussi. Tous, sans exception. Ils étaient tous amoureux de toi. De tes longs cheveux noirs, de ton sourire espiègle et peut-être, aussi, sûrement, de tes compétences en football. Chaque fois, tu étais la seule fille à jouer avec eux, dans la cour. Quand on faisait sport, ils se disputaient tous pour t’avoir dans leur équipe.
Alors oublie tous ces petits papiers interceptés cette année : « Est-ce que tu m’aimes ? », toutes ces conversations, disputes, chamailleries, auxquelles tu ne participais jamais, mais pour lesquelles tu étais concernée.
« Maîtresse, il dit que c’est lui, l’amoureux de S., alors que c’est moi !
– Et S., les garçons, elle en pense quoi ?
– On sait pas. »
Elle en pense qu’elle s’en moque.
Qu’elle veut avoir des copains, c’est tout.

Oublie-nous, S., encore un peu. Profite de Maman, de ta sœur. Je ne te parle pas de Papa parce que je crois que ça ne colle pas trop, entre lui et toi.
« Il s’en fout de moi, quand je vais chez lui maîtresse, il ne me parle même pas, tout le week-end, rien, pas un mot ».
Dis toi que ça changera peut-être, un jour. Peut-être pas.

Oublie tout ça et reviens nous heureuse, reposée, fière et combattante.
Parce que c’est comme ça que tu brilles S.
C’est comme ça que, nous, moi, on ne peut pas t’oublier.

Lettre à M.

Dans ma REPpublique à moi, il fait chaud, très chaud. Je crois qu’on y est, en vacances, pour de bon, ou presque. On sue, on se baigne (pour certains), et on s’apprête à vibrer, tous, devant un match de foot. Je sais que M. est de ceux-là. Alors c’est à lui que j’écris, aujourd’hui.

Salut M.

Je ne te demande pas si tu vas bien. Je sais que tu as peur, que tu es heureux, comme nous tous, mais que tu flippes. Je t’imagine chez toi, avec tes deux frères, tourner autour de Maman, comme tu l’as fait toute cette année autour de moi.
« Maman, maman, il commence quand le match, c’est bientôt ? »
« Maîtresse, maîtresse, c’est à quelle heure qu’on fait sport ? »

On a ri tous les deux M., pendant cette année. Mais pas que.
On a pleuré aussi.
J’ai crié, des fois.

Tu veux que je commence par quoi ?

Par les fois où ma patience a débordé. Par ces minutes où je me suis sentie tellement démunie, tellement incapable de t’aider que la colère a pris le dessus sur le reste. Ces moments où j’ai haussé le ton, sans doute un peu trop fort. Sûrement même.

« Dans l’exercice suivant, je vous demande de souligner le verbe dans chaque phrase ».
J’ai expliqué la consigne.
Je l’ai faite reformuler, j’ai même réalisé la première phrase avec vous.
Je savais que tu peinerais alors je me suis approchée de toi et je t’ai montré, avec la deuxième phrase, comment tu pouvais faire. Tu m’as dit « Oui, maîtresse, d’accord maîtresse ».
Alors je suis allée voir les autres. Ils avançaient, à leur rythme, mais ils avançaient.
Et puis je suis revenue vers toi.
Tu n’avais rien souligné.
Le nez en l’air, tu cherchais si un autre regard traînait, avec lequel tu pourrais te marrer, là, tout de suite, un peu.
Je me suis assise près de toi, prête à tout te réexpliquer, une fois de plus.
Tu m’as regardée avec cette bouille que je croquerais et tu m’as dit, si sincèrement, si honnêtement :
« Maîtresse, j’ai pas compris ».
Ca aurait pu, ca aurait du, peut-être, me faire rire.
Si ça avait été la seule fois. Si ça n’avait pas été comme ça chaque semaine, chaque jour, chaque heure.

Alors oui, il m’est arrivé de crier. Je ne sais pas ce que j’imaginais.
Qu’en parlant plus fort, tu comprendrais mieux.
Avec un peu de recul M., tu dois comprendre que ce n’est pas contre toi que je criais. Juste contre mon impuissance, mon sentiment d’inutilité.

On a essayé des choses, toi et moi. Maman aussi, avec nous.
Le RASED, la psychologue scolaire, une demande d’Auxiliaire de Vie Scolaire.
Rien n’a vraiment avancé.
L’AVS a été refusée.

Bon, soyons complètement honnêtes M., tu m’as rendue chèvre quelques fois einh. Toutes ces récréations pendant lesquelles les autres venaient se plaindre d’un coup de pied, d’avoir été poussés, d’une insulte. Toutes ces fois où je te voyais courir dans les escaliers, jeter un papier à travers la classe, dire à E. qu’il était « trop nul » pour jouer au foot avec vous. Toutes ces fois où je te faisais venir à moi et où tu avais le visage si surpris, si loyal, et où tu répétais, un soupçon de larmes dans la voix « Mais, mais, j’ai rien fait moi maîtresse ».

On a pleuré aussi, souviens toi.
Oh, toi bien plus souvent que moi.
De chaudes larmes de caïman à chaque fois que je te demandais de faire signer à Maman les bêtises que tu avais faites dans la journée. Reniflage et bouderie en prime.
De vraies larmes le jour où elle venue chercher ton premier bulletin.
Où je lui ai expliqué que ça partait mal, très mal, que le retard s’accumulait.
Où elle m’a regardée, a soupiré, s’est tournée vers toi et t’a raconté ce qu’elle avait vécu, elle. Combien d’heures elle avait bûché, là-bas, au pays, pour obtenir ce diplôme qui lui avait permis de venir vivre ici.
Où elle t’a dit que tu ne mesurais pas ta chance, que tu ne la respectais pas, finalement.

Et puis on a ri, M..
On a tellement ri, rappelle toi, au mois d’Octobre, je crois.
On travaillait sur les noms communs et les noms propres.
Je venais de récapituler ce qu’on s’était dit.
« Un nom propre commence toujours pas une…. »
Et toute la classe a enchaîné : « Majuuuuuuscuuule ».
Et là, tu as bondi de ta chaise M. et tu as hurlé « ..et se termine par un point ! ».
J’ai du m’asseoir pour ne pas tomber.
Et puis j’ai pouffé.
Et toi aussi.
Je t’ai félicité, quand même, parce que j’étais heureuse que tu associes (enfin) la majuscule et le point. Et puis on a ri, encore un peu.

Et aujourd’hui, tu vas rire encore, M., tu vas applaudir, tu vas être heureux, encore.
Je sais que le football est important pour toi.
Non, essentiel.
Tout le monde dit que tu es très bon.
Regarde le bien ce match M., qui sait, tu y seras peut-être, toi aussi, dans quelques années.
Toi aussi, tu iras la chercher, ton étoile.

Je te le souhaite M..
Honnêtement
Sincèrement.

Lettre à L.

Dans ma REPpublique à moi, les vacances commencent. Pendant que je continue de ranger ma classe, mes élèves (devrais-je dire anciens?) sont peut-être à la plage, peut-être à la maison. En tous cas, ils ne sont plus là. Je n’ai pas eu le temps de tout leur dire et il y a des choses pour lesquelles je n’aurais pas su trouver les mots, alors je le fais ici. Aujourd’hui, c’est le tour de L.

Salut L.,

On ne s’est pas vraiment dit au revoir tous les deux.
Je ne sais pas même pas si on s’est vraiment dit bonjour, finalement.
Cette année a été un peu chaotique, entre nous.
Je crois surtout qu’elle l’a été pour toi.

En classe, tu n’étais jamais vraiment là.
Pas absent, non, ça jamais, ou très rarement.
Présent.
Physiquement.
Mais c’est tout.

Ce n’était pas juste une tête que tu avais en l’air, c’était tout le reste.
J’ai bien essayé d’aller te chercher, là-haut, sur tes nuages, plusieurs fois. Mais tu n’avais pas vraiment envie de venir en bas, j’ai fini, peut-être trop tard, par le comprendre.

Pas que tu ne savais pas faire, loin de là. Juste que ce n’était pas vraiment ce qui te préoccupais.
Parce que les quelques fois où tu es descendu, c’était comme pour me dire : « Regarde, j’ai compris, je sais ce que tu attends de moi, je t’en donne un peu, einh, comme ça après, tu me fous la paix. »

Mais je suis du genre tenace, moi, tu sais L.
Je n’aime pas qu’on m’échappe.
Ou plutôt, je ne voulais pas que tu t’enfuies, que tu gâches tout, juste pour ça.

Juste pour lui, qui est parti, sans toi, sans Maman et sans ta petite sœur.
Juste pour lui, qui t’appelait, des fois, pour te dire qu’il ne reviendrait pas, pas tout de suite.
Juste pour lui, qui n’est pas venu, pendant les fêtes de Noël, comme tu t’y attendais.

Ce n’est pas rien, je sais.
C’est tout, même.
Et plus que ça.
Mais moi, j’aurais voulu que tu oublies, un peu, que tu essaies, au moins.

On en a parlé.
Tu as pleuré, des fois.
Je t’ai dit de me faire confiance, de déposer ta tristesse devant la porte de la classe, juste-là, que je t’autoriserais à la reprendre, en partant, mais que tu devais avancer, pour toi et pour lui, aussi, finalement.

Maman n’a pas tellement su quoi faire, non plus. Un peu perdue, elle aussi.
Coupable, me disait-elle.
Non, je lui répondais.
Et toi, au milieu, tu as peut-être cru que c’était toi, alors.

Et l’année a filé. Comme une flèche. Comme lui. Sans crier gare. Sans prévenir.
Est arrivé le mois de juin.
La fête des pères.

Je vous ai laissé le choix. Vous pouviez faire un cadeau pour Papa, ou pour Tonton, ou pour un grand frère, c’était à vous de décider.
Tu t’es approché de mon bureau, en descendant de ton nuage et tu m’as demandé si tu pouvais en faire deux.
« Un pour Papa et un pour M.
– Pas de problème L., c’est toi qui décides.
– Je t’ai déjà parlé de M., maîtresse ?
– Non.
– C’est le nouveau copain de Maman. Il est gentil. On va déménager, avec lui. Je suis content. »

Tu as souri. Tu es remonté sur ton nuage. J’ai juste eu l’impression qu’il était un peu plus léger, celui-là.

Bonne fête Môman.

Dans ma REPpublique à moi, on célèbre, presque contre notre gré, des fêtes pétainistes. Pour le meilleur comme pour le pire.

Pas de collier de nouilles non.
Pas de trousse à maquillage non plus, jamais.
Pas de poème mièvre, sûrement pas.

Chaque année, la même question.
Chaque printemps, les mêmes prises de tête, en salle des maîtres.
Chaque fois, la même envie d’hurler que non, tu n’as pas d’idée mais surtout que, en fait, tu n’as pas du tout, mais du tout, envie de fabriquer quoi que ce soit.

D’abord, je suis maman, moi aussi.
Et moi aussi, j’ai un grand carton, au fond d’un placard, dans lequel je stocke, pour une période – soit dit-en passant – relativement courte, les fameux objets fabriqués avec (ou sans) amour sur une belle (ou pas) idée de la maîtresse en mon honneur.

J’ai ressorti le fameux carton, il y a quelques jours, justement. Je me suis dit que ça me donnerait peut-être des idées. Perdu.
Nous avons donc :
– Un tube de Springles reconverti en distributeur de coton à démaquiller.
Je ne me maquille pas.
– Un porte-bougie collé dans un pot de yaourt et peint de mille couleurs.
Je ne dîne jamais aux chandelles.
– Une carte sur laquelle un poème absolument niais a été collé par l’Atsem, poème que mon fils n’a jamais su me réciter.
Tant mieux.
– Un portrait de ma progéniture, qui fait un cœur avec ses doigts.
Je le vois tous les jours en vrai, je ne vois pas l’intérêt.

Bon, d’accord, je bougonne.
En vrai, je crois que je ne comprends pas vraiment l’intérêt de cette fête.
Je comprends d’autant moins pourquoi ça tombe sur nous, les maîtresses.
Qui a dit que la fête des mères, c’était un grand jour pendant lequel chaque enfant devait offrir à sa Moman l’objet (forcément moche) que sa maîtresse lui avait demandé de fabriquer ?
Quel est le rapport entre la fête des mères et l’école ?
Jean-Michel, dis moi, c’est écrit dans les programmes ?

« Non, mais bon, tu vois, on le fait tous, chaque année, alors, bon, si tu ne le fais pas, bon, tu vois »

Je vois oui. Je vais passer pour la méchante maîtresse. Aigrie (moi?), pas créative pour un sou, un peu flemmasse sur les bords. Je suis prête à tout assumer, mais quand même.

Alors voilà. Ce fameux cadeau, ils vont le créer eux-mêmes. Ils vont écrire des choses qu’ils pensent, qu’ils ressentent. Je vais les faire réfléchir, se confier, dire leurs sentiments, les vrais.

« Maman, ce que je préfère faire avec toi, c’est…. »

C’est joli, einh ?
Ce n’est pas de moi.
Ils commencent à gribouiller. Font la queue derrière mon bureau. Il faut que je corrige l’orthographe avant qu’ils ne recopient sur la jolie carte que j’ai préparée.

… Faire les courses.
… Faire la cuisine.
… Mettre la table.

Bien. Quelle belle image de leur maman ! Hum

Voyons un peu la suite.

« Maman, tu aimes quand je…. »

…. t’aide à faire le ménage.
….. débarrasse la table.
…. range ma chambre.

De mieux en mieux.
Je les interromps.
Tout le monde assis, il faut qu’on parle.

« C’est quoi, une maman, pour vous ? »

– Elle nous prépare à manger.
– Elle nous gronde quand on fait des bêtises.
– Elle nous achète des habits.
– Elle nous laisse jouer à la Play Station.

« N., tu l’aimes, ta maman ?
– Euh, bah oui, bien sûr maîtresse.
– Pourquoi tu l’aimes ?
– Parce que c’est ma maman.
– Oui, et qu’est-ce que tu aimes chez elle ?
Silence dans la classe. Yeux braqués sur N., qui commence à avoir les joues toutes rouges.
– J’aime quand.. euh, je ne sais pas si je peux le dire.
– Si, dis-le, N.
– J’aime quand, le soir, elle me prend dans ses bras, me serre fort et qu’on joue à « C’est moi qui t’aime le plus ! »

On y est.
On va pouvoir recommencer.
Il va être joli, très joli ce cadeau de fête des mères.
Finalement.

En attendant Papa.

Dans ma REPpublique à moi, on vit parfois au rythme des émotions des uns et des autres. On y croit avec eux, on n’y croit plus, parfois aussi. Et, heureusement, il nous arrive de nous tromper.

« Maîtresse, maîtresse ! Papa est là, il est venu ! »
K. a les yeux mouillés. Il est surexcité. Je crois que lui-même n’en revient pas.

Neuf mois qu’on se côtoie, K. et moi. Neuf mois qu’on apprend à se connaître, à s’aimer, parfois, même si on n’est pas obligés. Neuf mois qu’il me parle de lui, quand il peut, quand il va mal.

Papa, il est parti.
Papa, il ne me répond pas au téléphone.
Papa, il a une nouvelle famille.
Papa, il ne m’aime pas.

Ca, c’est quand il ne va pas bien. Quand il a menti. Quand il s’est écrit avec un stylo rouge sur la main et qu’il est venu me voir en m’assurant que c’était S. qui lui avait fait ça. Comme je sais qu’il a menti, et qu’il sait que je sais, il pleure. Beaucoup. Bruyamment. Et puis, après, longtemps après, il parle. De Papa. Qui n’est pas là. Et c’est pour ça.

K., il aime beaucoup Maman. Et Maman le lui rend bien. Les voir ensemble, c’est un peu comme voir des meilleurs amis parfois, des frères et sœurs une autre fois. Ils vivent tous les deux. K. aide Maman à préparer son examen. Elle veut devenir conductrice de taxi. Il faut réviser les maths, le français. K., il est doué, alors il l’aide. Et il l’aide bien.
On pourrait presque dire qu’ils se suffisent tous les deux.
Presque.
Parce que K., il lui manque Papa.

A chaque fois, juste avant les vacances, il vient me voir à mon bureau.
A chaque fois, il a ces mêmes yeux qui pétillent, ce sourire qui lui remonte jusqu’aux oreilles.
A chaque fois, il est sûr de lui, il y croit.
« Papa, il va venir me voir pendant ces vacances, maîtresse, j’en suis sûr ! »

A chaque retour de vacances, K. traîne les pieds, regarde le sol.
A chaque retour de vacances, K. se remet à mentir, à pleurer.
Je n’ai pas besoin de le lui demander.
Papa n’est pas venu.
Je commence à perdre espoir, moi aussi.

Hier, K. est entré dans la classe, n’a regardé que moi, avec un énorme sourire et s’est approché.
« Maîtresse, maman a réussi son examen !
– Génial K., c’est super ça ! Tu la féliciteras de ma part. C’est un peu grâce à toi, tu sais !
– Oui, je suis content pour elle.
– De toutes façons, je la verrai demain, vous venez tous les deux à la kermesse ?
– Oui, maîtresse et il y aura aussi Papa ! »

Je n’ai pas répondu. Je n’ai pas relevé. Je ne l’ai pas cru. Je me suis juste dit qu’il allait, encore, être déçu, très déçu.

Ils sont arrivés. J’étais en train de remettre en place le stand de jeu que je tenais, à la kermesse, quand j’ai relevé le regard et les ai vus, tous les cinq. K, maman, un homme, une autre femme et une petite fille.

C’est là que K. a couru vers moi. L’homme est venu me saluer.
« Bonjour Monsieur, je suis très contente de faire votre connaissance, K. parle beaucoup de vous.
– Ah bon ?
– Oui, il était vraiment très heureux hier quand il m’a dit que vous viendriez, très heureux.
– Ah. Oui, c’est vrai qu’on se voit peu, mais ça va changer. »

L’homme regarde son fils. K. a entendu. K. l’a cru.

Se battre, pour elle, et pour moi.

Dans ma REPpublique à moi, pas de gros titres avec « le dernier scandale sanitaire », mais des enfants qui en sont victimes et des mamans qui essaient d’apprendre à se défendre.

« Mais, je ne sais pas, moi, j’étais jeune, j’avais 16 ans. Mais je leur avais demandé, pourtant, si ça craignait rien, je m’en souviens, ils m’avaient dit non ».

La maman de K. s’est souvenue.
Quand elle a vu la psychologue scolaire, quand celle-ci lui a présenté les résultats de sa fille, lui a expliqué que K. était « déficiente », que ça voulait dire qu’elle n’était pas en capacité d’apprendre comme les autres enfants de son âge, quand elle lui a dit qu’il allait falloir lui trouver une classe adaptée, pour l’aider.
Sur le moment, elle a semblé soulagée.
On s’occupait de sa fille, enfin.
On s’intéressait à elle, enfin.
Et puis, le lendemain, elle m’a appelée, à l’école.

«Elle est là, la psychologue ? Je voudrais lui parler .
– Non, elle n’est pas sur l’école, là, mais je peux lui dire de vous rappeler, tout va bien ?
– Oui, oui ca va, c’est juste que je me suis souvenue.
– Souvenue de quoi ?
– Quand j’étais enceinte de K., j’étais épileptique, j’ai fait une crise et ils m’ont dit de prendre de la Depaka, je ne sais plus comment ça s’appelle.
– De la Depakine ?
– Oui, voilà, c’est ça. Et là, j’ai entendu que ça pouvait avoir des effets sur les enfants. »

Elle a bien entendu. « Un risque supérieur de déficience cognitive : 42% des enfants exposés à la Depakine pendant la grossesse ont un QI inférieur à 80 », dit cet article.
K. a 70.
Ses deux petits frères apprennent vite, eux, beaucoup plus vite qu’elle.
« C’est le petit de 5 ans qui lui dit le nom des lettres, elle ne retient pas, elle ne comprend rien »
Maman sait lire, écrire, compter. Elle essaie d’aider sa fille, mais n’y arrive pas. Maintenant, elle sait pourquoi.

« Oui, je suis gitane, et alors ? J’ai mon brevet, je travaille moi ! Dans l’autre école, ils mettaient toujours ma fille toute seule, au fond, ils lui disaient de faire des dessins
– Je suis désolée, madame, mais ça y est, on sait maintenant, on va l’aider. »

Pendant la réunion prévue ce matin pour demander officiellement l’orientation de K. en classe spécialisée, j’avais préparé les coordonnées d’une association de victimes de la Depakine, mais je n’osais pas, j’avais peur de la brusquer, de la forcer.

« Mais, elle s’en sort bien, quand même je trouve, par rapport à d’autres enfants que leur mère elles ont pris ça. J’ai lu des trucs terribles sur Internet, dit Maman
– On peut dire ça oui, mais vous avez des droits, vous savez, il y a des associations qui existent, qui se battent contre le laboratoire qui a fait circuler ce médicament, appelez-les.
– Elles vont m’aider? Et les laboratoires là, ils vont dire qu’ils ont fait une erreur, ils vont s’excuser ?
– C’est possible oui, en tous cas, il faut essayer.
– Oui, oui, je vais essayer, je vais me battre, pour K., pour moi. »

Est-ce que tu m’aimes ?

Dans ma REPpublique à moi, quand on aime on le dit. Et quand ce n’est pas réciproque aussi.

J’avoue que je me suis sentie un peu honteuse.
Je suis arrivée avec mon air de méchante maîtresse et j’ai demandé, très fermement, à S. de me donner ce petit bout de papier que M. venait, pas tout à fait discrètement, de lui faire passer, en pleine séance de grammaire sur les compléments d’objet.

On peut dire que celui-là était pour le moins direct.
« Es que tu m’ème ? » avait écrit le garçon, de sa plus belle écriture.

Quand je lisais le message, je voyais le visage de M. se décomposer.
Sans réfléchir, je lui ai immédiatement demandé d’aller changer sa couleur sur notre petite échelle de comportement et d’aller se rassoir.

La tête dans ses baskets, M. a boudé.
S. a eu droit à la même sanction, mais semblait un peu moins affectée.

Pendant l’heure qui a suivi, M. m’a beaucoup regardée.
Je le regardais aussi.
Et je regardais le petit bout de papier.

NON avait écrit en très gros S., pour lui répondre.

Juste avant la récréation, M. est venu me voir.
Loin de lui l’idée de vouloir s’excuser pour le bout de papier.

« Maîtresse, est-ce que tu peux juste me dire ce qu’elle a répondu, s’il te plaît ? »
J’ai hésité. Et puis j’ai froissé le petit bout de papier.
« Elle n’a pas eu le temps de te répondre, M., j’ai pris le papier avant. »

Il a souri. Je ne sais pas si j’ai bien fait.

L’école est gratuite, laïque et… obligatoire. Ou pas.

Dans ma REPpublique à moi, on n’est (ne naît) pas tous égaux devant l’école. Loin de là.

Elle a tenu bon H.. Elle a tenu plus de quatre mois. Quatre mois sans quasiment aucune croix sur le cahier d’appel. Quelques vendredi encore, et puis un jour par-ci, par-là, souvent en début de mois. Souvent après le versement de la CAF.

« C’est maman maîtresse, des fois, elle dit que ce n’est pas la peine que j’aille à l’école, qu’elle a besoin de moi à la maison, qu’elle a besoin de moi pour aller faire les courses. »

Elle est toute douce, H. Elle a une toute petite voix. Elle sourit, mais peu, comme si elle voulait cacher ses dents, pas tout à fait droites. Une fois, dans le bus pour aller à l’escalade, S. m’a énuméré tous les garçons de la classe qui étaient amoureux d’elle. H., elle écoutait, elle souriait. Et toi, H. ? Moi, personne y m’aime, enfin je ne crois pas, en tous cas, personne y me l’a dit.

Au mois de septembre, on a beaucoup discuté, H. et moi. Je lui ai demandé si, elle, elle avait envie de venir à l’école, si elle trouvait ça important. Elle m’a dit oui, en me regardant dans les yeux. Je lui ai dit d’être ferme, de dire à Maman : « si, je veux aller à l’école ». Elle m’a dit, « d’accord », avec beaucoup de volonté dans le regard. Et elle a tenu bon.

Mais H. elle commence à lâcher. Doucement. Elle était là ce matin, pas cet après-midi. Elle était là hier après-midi, pas hier matin. Elle n’était pas là lundi, ni mardi. Elle est revenue jeudi, puis elle est repartie. Les billets d’absence ne sont pas remplis. Maman ne sait pas écrire.

« Toi, tu peux écrire pour elle H. et elle signe ?
– Elle a dit c’est pas la peine Maman. »

H. a envie de faire ses devoirs, vraiment, sincèrement. Mais H. n’y arrive pas. H. a des difficultés, ce si moche petit mot qu’on colle à tous les enfants qui apprennent avec peine. H. n’a pas de facilités en tous cas, ce tout aussi moche petit mot qu’on aime attribuer aux enfants qui apprennent sans peine.

« Il est où ton grand cahier bleu, celui où il y a les listes des mots à apprendre ?
– Je ne sais pas.
– Comment ça, tu ne sais pas ?
– …
– Dis, moi, H. est-ce que tu l’as oublié chez toi ?
– Maman, elle l’a donné à mon petit frère pour qu’il dessine dessus, elle n’avait pas de papier pour lui. »

H. a eu un nouveau cahier bleu. Elle a trouvé un endroit pour le cacher, chez elle. Alors des fois, encore, elle l’oublie. Des fois, aussi, elle va chez son cousin M., il est dans la classe aussi. Il habite en face de chez elle. Mais M., il ne sait jamais vraiment quel est le numéro de la liste qu’il faut apprendre cette semaine. M., il n’a pas vraiment, sincèrement, envie de faire ses devoirs, lui.

Vendredi, quand le reste de la classe est rentré de la cantine, plusieurs élèves m’ont appelée dans le couloir. Maîtresse, Maîtresse, on a vu H., elle était là, dans la rue devant l’école ! Alors j’ai pensé qu’elle allait peut-être arriver. Mais non. Elle sera là lundi. Oui, elle sera là.

Anouk F

H., ses larmes et son secret

Dans ma REPpublique à moi, il y a des rires, des cris et des larmes.

Hier, H. a pleuré. Et moi, j’ai dû avaler ma salive plusieurs fois pour ne pas faire comme elle.
Hier, H. n’a pas voulu me montrer la signature de sa maman sur la dictée. Alors j’ai insisté. Elle a fini par lever la main qui cachait la feuille et elle a pleuré. La signature de maman était raturée, plusieurs fois. Maman, elle ne sait pas écrire maîtresse, elle s’est trompée alors elle a recommencé.
Hier, H. m’a promis qu’elle essaierai d’apprendre à sa maman à écrire. Parce que H., elle, écrit super bien.