Non, non, ne mentez pas.
Soyez sincères.
Avouez, vous l’avez fait.
Parlez-en, ça vous libérera.
Nommez là, cette jubilation intérieure quand, ce matin, vous avez appelé Arthur, 7 ans, qui jouait (presque) calmement dans sa chambre. Il est venu (au bout du cinquième appel, celui où vous avez hurlé « Je te dis de venir ici ») et, tout en lui caressant (tout à fait sincèrement) les cheveux, vous lui avez dit « Profite bien de tes jouets mon loulou, parce que dans trois jours, tu retournes à l’école ». Certains ont, je le sais, ajouté le rire sardonique qui va avec.
Réjouissez vous, festoyez.
Souriez, frottez-vous les mains.
Lundi, quand vous l’aurez déposé, vous aurez même le droit de danser quelques pas sur le trottoir.
Faites-vous plaisir.
Mais surtout, surtout, ne pensez pas à Elle.
Elle aussi, elle y retourne lundi.
Seule, avec eux tous.
Votre Arthur, votre Simon, son Gaspard, sa Lucie, Kylian, Habib, Rihanna et une bonne vingtaine d’autres.
Tous ceux-là dont les parents seront justement en train de danser (peut-être ensemble) quelques pas de polka sur le trottoir devant l’école.
Tous ceux-là qui n’en auront plus grand-chose à faire d’être sages, le barbu est déjà passé, de toutes façons. Qui n’auront pas franchement envie de l’écouter, Elle, mais plutôt de s’écouter, eux, se dresser les uns les autres la liste des cadeaux tombés de la hotte.
Ou plutôt, pensez-y un peu.
Juste un peu.
Parce que sachez qu’Elle ne vous juge pas.
Dites vous que ce matin, Elle aussi, Elle a appelé Arthur, 7 ans.
Elle aussi, Elle lui a caressé (tout à fait sincèrement) les cheveux.
Elle lui a rappelé aussi qu’il retournait à l’école lundi.
Et puis Elle s’est souvenue qu’Elle y allait aussi.
C’est là que je me suis mise à flipper.
Stresser.
Angoisser.
Du rire sardonique, on est passé aux tics nerveux.
J’ai envoyé tout le monde valser.
Il fallait absolument que je me mette à penser, tapoter, mettre en page, préparer, imprimer, photocopier, massicoter, afficher, corriger, programmer.
On va zapper le passage sur « oui, les profs eh bah même en vacances, ils travaillent », parce que pour le coup, sur ces vacances-là, j’aurais – comment dire – un peu de de mal à tenir le débat longtemps.
N’empêche que, les yeux rivés sur l’écran, les doigts cloués sur le clavier, le bureau jonché de manuels de lecture, de matériel de mathématique, de fiches à plastifier, d’une agrafeuse en grève et d’une perforatrice coincée, je n’ai pas vu la journée passer.
J’ai essayé de me rassurer, en pensant à D., qui, j’en suis sûre, aura fait un bond en lecture. A M., qui sera c’est certain capable de lire des textes tout seul, et de me les raconter après. J’ai souri aussi, en me disant que cette séance de maths, pour A., ce serait les doigts dans le nez, avec tous les progrès qu’elle a fait.
Oui, mais ce soir, quand j’ai levé la tête pour hurler « Arthuuuuuur, au baiiiiin !!! », il s’est approché, m’a caressé (tout à fait sincèrement) les cheveux et m’a dit « Profite bien Maman, parce que lundi, pour retourner à l’école, il faut être en forme ». Promis, je n’ai (presque) pas pleuré.
Dessin : Jack Koch