Dans ma REPpublique à moi, il y a des arrivées, souvent. Des départs beaucoup. Certains marquent plus que d’autres.
A la sortie de l’école, il se tient toujours un peu à l’écart des autres. Pas très grand, mais plutôt carré. Le regard bleu, l’air parfois de s’excuser. Policier, c’est son métier. Enfin, c’était son métier, là-bas, en Albanie. Je connaissais beaucoup de monde vous savez, on nous respectait, on nous admirait. Mais un jour, il a fallu fuir. En Albanie, le Kanun (vendetta) vous suit de génération en génération et le jour où elle arrive devant votre porte, il faut partir, vite, avec les enfants, policier ou pas policier.
Hier soir, il s’est approché. Un peu. Il m’a fait signe de vouloir parler en privé, alors on s’est éloignés. Son Français est encore approximatif mais on le comprend. Il s’excuse, a le visage un peu grave. Il demande à son fils d’aller jouer, un peu plus loin, avec ses copains. Enfin, j’imagine que c’est ce qu’il lui dit.
« I. va quitter l’école, demain, Demain soir.
– Ah, est-ce que tout va bien ?
– Non. Il faut qu’on quitte la ville. J’ai peur qu’on nous arrête.
– …
– Cet été, on nous a refusé notre demande d’asile, pour la deuxième fois.
– Vous n’avez plus de recours ?
– Non. Mais je ne veux pas rentrer dans mon pays, ce serait trop dangereux.
– Je comprends.
– Cet été, ils nous ont arrêtés, ma femme et moi. On a passé deux jours au centre là-bas. Les enfants, ils sont choqués. Je ne veux pas que ça recommence, on doit partir.
– Où allez-vous ?
– Je ne sais pas. Toulouse peut-être. Il y a plus d’associations là-bas, elles pourront peut-être nous aider.
– D’accord. On va vous préparer le certificat de radiation pour I. Je ferai un petit dossier pour sa nouvelle maîtresse. C’est un bon élève, il parle très bien le Français maintenant, ca ira pour lui. Mais il faut vraiment l’inscrire dans une école, dès que possible.
– Merci. »
I. est un peu plus loin mais il a compris. Il me regarde rapidement puis détourne ses yeux. C’est un bon élève, un très bon élève. Il est arrivé en France, dans notre école, il y a tout juste un an. Il ne parlait pas un mot de notre langue. Aujourd’hui, il s’exprime presque parfaitement, écrit très bien, connaît de nombreuses règles, aussi fastidieuses soient-elles, de grammaire, d’orthographe, de conjugaison. C’est un élève vif, intelligent, pertinent. Bavard, très bavard. Sociable très sociable.
8h50 le lendemain. Les élèves s’installent en classe. Je demande à une élève d’emmener I. dans les couloirs, pour un prétexte quelconque, quelques minutes. Pendant ce temps, j’explique aux autres que c’est le dernier jour d’I. aujourd’hui, qu’il doit quitter notre école. Je ne m’arrête pas sur les visages décomposés de M., D. et ses autres grands copains et je leur demande de lui préparer une surprise : une lettre, un dessin, ce qu’ils veulent. I. pourra les emporter avec lui, ça lui fera des souvenirs. « Quand je vous dis, c’est bon vous pouvez vous occuper 5 minutes, ca veut dire que vous pouvez faire votre surprise, mais ne lui dites-rien, on lui donnera ce soir ».
Au fil de la journée, les réactions d’I. sont plutôt drôles à observer. « C’est bon, là vous avez 5 minutes, vous pouvez faire le truc ». « Le truc, maîtresse ? ». Je ne réponds plus. Il regarde les autres, commence lui aussi un dessin. Certains le scrutent pour pouvoir le dessiner sur leur feuille. D’autres ricanent un peu.
16H30. Je leur demande de ranger leurs affaires. Je distribue des gobelets, des boissons, des petits gâteaux. I., avec tes copains, on voulait de dire au revoir alors on t’a préparé cette petite fête et je crois qu’ils ont tous quelque chose pour toi. Très sérieux, le visage presque impassible, I. reçoit ses dessins, les regarde très attentivement, fait même quelques remarques (Celui-ci n’est pas tout à fait terminé, Il n’y a pas le prénom là) puis s’assoit, boit son verre de jus de fruits et regarde dans le vide.
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