Dans ma REPpublique, il y a aussi (et surtout) des jolis moments. Des moments de fierté, de solidarité et de bonheur, simplement.
Elle a les joues toutes rouges et se cache le visage derrière ses mains et ses lunettes. Mais je l’ai vue, elle sourit, elle rit même. Derrière elle, toute la classe est debout et applaudit chaudement, sincèrement. A. n’a fait que deux fautes à la dictée et je l’ai dit à tout le monde quand je le lui ai rendue. Elle regarde sa feuille plusieurs fois, n’en revient pas. Il y a des -s aux pluriels, des -nt à la fin des verbes. Champignons est écrit correctement, panier aussi.
Le mois dernier, quand j’ai reçu la maman de A. pour lui rendre le bulletin de sa fille, je lui ai dit qu’elle était capable, qu’il fallait juste qu’elle accepte de sortir de sa coquille. Oui, elle est arrivée en France il y a tout juste un an. Non, elle n’a (presque) plus besoin des heures de classe spécialisée avec l’enseignante qui s’occupe des enfants non francophones. Oui, A. a peur qu’on se moque d’elle. Non, A. n’est pas incapable d’y arriver.
Aujourd’hui, moi aussi je suis fière. Je suis fière d’avoir eu raison. Je suis fière de l’avoir, parfois, un peu, bousculée A..
« Où se trouve le verbe dans cette phrase ?
– Moi, moi ! Moi ! Moi ! Je sais !! »
Une quinzaine de bras sont levés. Pas celui de A. Alors c’est A. que j’interroge. Silence. J’insiste. Silence. Je reformule la question. Silence. Je sais que A. sait. Je sais pourquoi A. ne répond pas. Elle a peur de se tromper. Elle a peur de moi, peut-être. Peur des autres, aussi. Peur d’elle-même surtout.
« A. lève-toi, viens au tableau. Relis la phrase.
– Les enfants jouent dans la cour.
– Bien A. Souviens-toi comment on trouve le verbe dans la phrase.
– On met la phrase à la forme.. né… négative ?, elle chuchote, ouvre à peine la bouche.
– Oui.
– Les enfants ne…. » Elle s’arrête, ses mains tremblent. Je n’insiste pas plus, pas aujourd’hui.
J’ai recommencé le lendemain, le surlendemain. Parfois en lui parlant doucement, tout près. Parfois en haussant le ton. Parfois en restant, exprès, à l’autre bout de la classe, pour l’obliger à parler plus fort. Parfois en lui trouvant un petit surnom.
O., la maîtresse qui lui apprend le français six heures par semaine me dit que A. est une vraie pipelette dans sa classe, qu’elle répond au tac au tac à toutes les questions. Sauf que dans la classe de O., ils ne sont que 5, parfois 6. Dans ma classe, on est 26.
Mais je savais qu’elle arriverait cette petite victoire. On le savait tous d’ailleurs, dans la classe. Parce que ce matin, ce n’est pas moi qui leur ai demandé d’applaudir. Ils se sont tous, spontanément, levés et ils ont tous, spontanément, applaudi. C’était beau parce que c’était vrai.
C’était beau parce que c’est ça, aussi, et surtout, mon métier.