Celui de mes souvenirs était grand. Beaucoup trop. Les marches des escaliers insurmontables, la hauteur des murs du grand hall démesurée, les professeurs toujours pressés, les autres élèves des géants, des menaces. Mes angoisses.
J’avais 9 ans ce jour là. Pas encore 10, mais presque. Et ça se voyait. A mes petites épaules qui supportaient péniblement le cartable flambant neuf que mes parents m’avaient acheté. Bien trop large sur mon dos. Dans les couloirs, je bousculais sans le vouloir tous ceux qui, ados déjà, avaient un sac à dos bien ajusté. Ça se voyait aux jeux que je voulais continuer d’organiser dans cette cour où les uns et les autres se toisaient, se regroupaient pour discuter, sans trop s’agiter. Ça se voyait au bras que je levais sans cesse en classe mais que certains professeurs avaient choisi d’ignorer.
Mais j’étais fière d’être là. Je paradais, le dos bien droit. Le collège était immense, mais pas assez pour ce que j’en attendais.
J’avais enfoui ces souvenirs quelque part. Preuve qu’ils n’étaient pas si loin. Ils ont resurgi d’un coup quand j’ai passé, la semaine dernière, la porte de collège-là. Il est grand aussi. Il m’impressionne, un peu. Je ne sais pas si j’y parade, mais je m’y revois bien, maintenant. Je m’y reconnais en les observant et en cherchant ma place, comme eux.
Dans l’escalier tout à l’heure, un élève a refusé de me laisser passer, avant de découvrir, au dessus de mon masque, les rides qui lui prouvaient que je n’étais pas des leurs, ou pas tout à fait, et de s’excuser.
Je m’habitue à ne plus dire “en classe”, mais “en cours”. A ce que la salle ne soit plus celle des “maîtres”, mais celle des “profs”. Ici, les élèves me donnent du “Madame”, s’enfuient en courant de ma salle à la première note de la sonnerie et regardent parfois dans le même vide que nous avons tous, dans ces murs là ou d’autres comme eux, si longuement admiré.
Comme quoi, peut-être, rien n’a changé.
Si ce n’est que, je le promets, j’accepterai, sans me presser, les doigts qui se lèvent, les regards qui fuient et les espoirs qu’ils sont en droit de cultiver.