Je vais y aller.
Tu ne m’en laisses pas le choix, mais là n’est peut-être pas la question.
Je vais y aller parce qu’ils m’attendent, là-bas.
Parce qu’ils ont besoin de moi.
Parce qu’ils me manquent, parce que ce n’est pas fini.
Parce que nous avons, ensemble, encore bien des choses à apprendre.
Des uns. Des autres.
Je vais y aller.
Mais ce que tu me demandes, je t’assure que je ne sais pas le faire.
Rester loin d’eux, exiger qu’ils ne bougent pas.
Ne pas leur proposer de jouer, jamais.
Ne pas les autoriser à s’approcher.
A se copier.
A se toucher.
Parler devant eux comme si je n’étais qu’un écran de plus dans leur vie.
Leur demander d’écrire, écrire encore.
Manipuler, peut-être. Mais seuls.
Sans interagir.
Sans piquer le jeton de l’autre pour lui prouver qu’il en a un en trop.
Sans poser au bon endroit cette pièce de puzzle dont il se demandait bien où elle allait.
J’y serai.
Tu as dit que ton objectif était avant tout social.
J’aimerais tellement y croire.
Sortir de chez eux ces enfants qui n’y sont pas heureux.
Faire baisser ce chiffre abominable qui nous dit que les signalements pour enfants en danger ont augmenté de 89%.
Oui, mille fois oui.
Dis-moi, crois-tu sincèrement que ces enfants-là seront avec moi ?
Nous crois-tu assez convaincants pour avoir obtenu des familles un accord sans être en mesure de leur garantir que le virus n’arrivera pas chez eux ?
Quelle légitimité avons-nous ?
Quelle légitimité nous as-tu donnée ?
Dis-moi comment faire venir à l’école des enfants déjà absentéistes quand celle-ci n’est plus obligatoire ?
Je serai là.
Parce que le tunnel qui se creuse va bientôt créer un océan.
Je veux donner à tous la chance d’apprendre encore.
Je veux que même ceux qui peinent aient le droit d’essayer encore.
Mais sais-tu comment on apprend ?
Sais-tu comment on essaie encore, quand on n’y arrive pas ?
Sais-tu de quoi a besoin un enfant qui n’entre pas dans la lecture, qui ne maîtrise pas les dizaines et les unités ?
Il a besoin de toucher, de manipuler, d’être accompagné, tout près.
Il a besoin de copier un peu sur le voisin.
Il veut qu’on lui tienne la main, qu’on l’encourage, là, à côté.
Il veut montrer qu’avec un ballon, oui il arrive.
Il veut jouer à attraper les autres.
Et il en a le droit.
Et moi, être avec eux autrement que comme ça, je ne sais pas.