Chroniques

L’amour, c’est…

On ne se connaissait pas.
Enfin si, moi je le connaissais, j’en avais entendu parler, j’avais vu, aimé ce qu’il faisait, ce qu’il disait.
On ne s’était jamais vus, jamais parlé.

C’est drôle parce que quelques jours avant, je m’étais dit qu’il faudrait que je lui parle, que je lui dise, que je lui demande si je pouvais, s’il était d’accord pour être là, ici, avec moi, sur ce blog, par ci par là.

Et puis c’est lui qui m’a contactée.
Pas directement, non, je vous ai dit qu’il ne me connaissait pas.
Non, il a dit à B., qui l’a dit à C., qui me l’a dit.Il nous a demandé, à tous, de lui parler d’amour.

Comme ça, c’est tout.
Lui parler d’amour.
Tiens.

Et lui dire quoi sur l’amour ?
Justement, lui dire ce que c’était l’amour.

Il a dit qu’il le lirai, puis qu’il le dessinerai.
Il l’a fait.

J’ai transmis le message à M., à J., à A., à G..

La boule de neige s’est emballée.
On en a tous parlé.
On lui a tous dit ce que c’était, l’amour.

Il a tout dessiné.

Ils en ont fait un livre.
Et maintenant, il est à vous.

A vous de le lire, le regarder, l’offrir, le relire, l’aimer.

A moi de dire merci Jack Koch !

Sa chaise sera vide.

Dans ma REPpublique, nul besoin de papiers, de carte verte ou de droit d’asile pour entrer, s’asseoir et apprendre. Alors il y a des fois où on fermerait bien notre portail de l’intérieur pour ne plus les laisser sortir. Pour ne plus les laisser partir.

C’est vrai que je ne le connaissais pas.
Peu, en tous cas.
Croisé dans les couloirs.
Vu parfois sa maîtresse lui demander de se ranger.
Vu avec sa maman, l’autre jour, préparer le stand pour la vente de gâteaux dans la cour.

Je ne le connaîtrai pas mieux.
Je ne le croiserai plus.
Il est parti.
Contre son gré, celui de sa sœur, celui de sa mère, celui de son père.

Cela faisait des semaines, des mois que ça couvait.
Demande d’asile refusée.
Recours épuisés.
Tous les mercredi, à la préfecture, aller pointer.
Et attendre.
Attendre quoi.
Ca.
Attendre et puis partir.

A la rentrée des vacances, il y aura une chaise vide dans la classe.
Le casier, lui, sera presque plein.
Il y aura tout, sauf ce qu’il avait pris avec lui, pour faire ses devoirs, comme les autres.
Les autres, ceux qu’il comptait bien retrouver là, dans cette classe, dans cette cour.
Les autres, ceux qui ont le droit de rester là.
Les autres, ceux auxquels on essaiera d’expliquer ça.
Ou pas.

Quoi qu’IL en soit.

Dans ma REPpublique à moi, on voit grandir des enfants. On les voit évoluer, s’ouvrir, se découvrir. Et pour certains, ne plus se mentir.

Des années qu’on a compris.
Des années qu’on sait.
Des années qu’elle a commencé à en parler, à le murmurer plutôt.
Oh non bien sur qu’on ne l’a pas prise au sérieux.
Pas assez, en tous cas.
On s’est dit que ça lui passerait, qu’elle est « fragile », qu’elle se trompe de combat.

Mais aujourd’hui, elle ne chuchote plus.
Elle affirme, elle réclame, elle impose.

D’ailleurs, si elle me lisait, elle serait furieuse.

Parce qu’elle a 10 ans.
Et qu’elle ne veut plus qu’on dise «elle ».
Elle est « il ».

C’est dingue comme des enfants de 10 ans sont plus ouverts que les adultes que nous sommes.
Parce que, eux, ils s’exécutent.
Et sans malaise.
Sans jugement.
Depuis quelques semaines, depuis qu’elle l’a dit haut et fort, pour eux, elle n’est plus « elle », elle est « il ».
C’est un garçon, comme eux.
Parce qu’elle l’a décidé, parce qu’elle le leur a dit.
Et ça, ça leur suffit.

Alors, je vais essayer moi aussi, S.
Je te promets que je vais essayer.
Je t’ai connue « elle ».
Tu seras désormais « il ».

Parce que ça ne va pas s’arrêter là.
Tu as beaucoup de chance S., j’espère que tu le mesures.
La chance d’avoir des parents qui t’ont écouté, qui t’ont compris, qui t’ont dit oui ou au moins « on va essayer », qui vont t’aider, t’accompagner.
Des parents qui ont insisté quand le pédiatre leur a dit que c’était « une lubie ».
Des parents qui se méfient déjà des psychiatres qui leur diront que « ça lui passera ».

Le mois prochain, Papa a pris un rendez-vous important pour toi, S..
Dans une association.
Tu y rencontreras des adultes qui ont parcouru ce chemin que tu t’apprêtes à emprunter.
Ils te raconteront leurs joies, leurs doutes, leurs détours, peut-être, les obstacles, surtout.
Tu leur parleras peut-être d’elle, de celle que tu ne veux plus être, ou que tu n’as jamais été.
Et de lui, celui que tu voudrais être, que tu seras, que tu es déjà, quelque part, au fond de toi.

Eux, ils ne diront pas que tu es fragile, que tu te trompes de combat.
Ils ne t’obligeront pas à mettre un maillot une pièce pendant les cours de natation.
Ils ne te forceront pas à aller dans les vestiaires des filles avant le cours de sport.
Ils ne te demanderont pas de dire « PrésentE » au moment de l’appel.
Ils ne t’obligeront plus à mentir, à nous mentir, à te mentir.

Tu seras il, quoi qu’IL en soit.

Les idées claires

Dans ma REPpublique à moi, on échange, on discute. On apprend à se connaître. Parler, parler encore et se dire, tout ou presque. Essayer de comprendre mais surtout mettre les mots. Les bons.

Ils étaient souriants, contents de se retrouver après ce mercredi chômé. Quand la sonnerie a retentit, on s’est tous assis sur les bancs. Il y en a un rose sur lequel les garçons refusent de s’asseoir, alors ils sont entassés sur le jaune.

On était tous assis et on a fait l’appel. Je voyais bien que M. n’était pas là, mais je l’ai quand même appelé. Et quand personne n’a répondu, j’ai dit : « Il n’est pas là, vous êtes surs ? Regardons sous le banc, peut-être qu’il s’y est caché ». Forcément, ils ont tous, très sérieusement, regardé sous le banc. J’ai ri et je me suis souvenue qu’en CP, le second degré, il fallait mieux ne pas tenter.

Après, on a discuté, un peu.
Qu’est-ce que vous avez fait hier ?
R., tu n’as pas joué à la Playstation cette fois avant de dormir ? Non, c’est bien. R.
M., est-ce que Maman t’a lu une histoire ? Non, c’est ta grande sœur, c’est super ça !

Avec qui avez-vous fait vos petits exercices de lecture, racontez-moi !

E. s’est entrainée à lire les syllabes avec Papa.
A., avec Maman.
D’autres avec grande sœur.
D’autres ne l’ont pas fait.
Tant pis.

Je me tourne vers D.
Comme d’habitude, il regarde ses pieds.
Comme chaque fois qu’il est assis là, sur ce banc, il tripote un morceau de son pantalon, du côté des genoux.
Comme tous les jours, il trépigne, a du mal à rester visser là trop longtemps.
Quand je l’interpelle, il relève très légèrement la tête et me regarde au-dessus de ses lunettes.

« Comment ça s’est passé D., as-tu réussi à lire les syllabes à la maison hier ?
– Pas trop.
– Un petit peu, quelques unes, et pas d’autres ?
– Je ne sais pas. »

D. articule mal et comme il a peur qu’on se moque de lui, il parle vite et avale certains mots. Mais on commence à se comprendre, lui et moi.

«Avec qui as-tu fait la lecture, D., raconte-moi.
– (Silence, reniflage. D. remet ses lunettes sur son nez, trifouille le lacet de son jogging)
– Avec Maman, avec ton frère ?
– Avec Papa.
– Chouette.
– Non.
– Ah.
– Papa, il me crie très fort dessus.
– (Silence)
– Et si il crie quand je n’y arrive pas, alors j’y arrive encore moins. »

Il articule mal D.
Il bafouille, il mange les mots.
Mais il a les idées claires D.
Et il a les mots.
Il les mange, oui, mais ce sont les bons.

Rendez-moi leur sourire.

Dans ma REPpublique à moi, comme dans les autres REPpubliques, on m’a demandé d’é-va-lu-er mes élèves de CP. Pas une option, une obligation. Tout cela est très (trop) sérieux, national, scientifique. Quoi qu’il en coûte.

« Il y en a même qui ont pleuré », m’a dit une collègue tout à l’heure.
Moi j’en ai vu suer.
J’ai vu des yeux se fermer, d’autres se lever en l’air.
J’ai vu des épaules s’affaisser.
J’ai entendu des bouches souffler.
J’ai vu les sourires disparaître.
Je les ai vus, un à un, tomber.

Pourtant, en haut du petit cahier que je tenais dans les mains, il y avait écrit le mot « confiance ». En entier, ça faisait « l’école de la confiance ». Alors je leur ai répété plusieurs fois : « C’est presque fini, faites-moi confiance ». Pendant quelques secondes, les yeux se remettaient, un peu à briller. Quelques secondes seulement. Parce qu’il fallait continuer, recommencer.

Ne pas aider.
Ne pas souffler.
Lire la consigne telle quelle.
Ne surtout pas exagérer.

« Bbbbbbbbballon, lapin, montagne, renard. Quel est le mot dans cette liste qui commence comme bbbbbbbbiberon ? »

Oui, bon, bah, je ne leur ai pas donné la réponse-là.
J’ai juste essayé de les remotiver.
J’ai tenté de m’approcher de M. pourtant si heureux, si souriant d’ordinaire. M., il sait déjà presque lire. Mais là, il n’y arrivait pas, il ne pouvait plus.
Je lui ai expliqué, comme aux autres, que je n’avais pas le choix.
Que tous les enfants de CP de tout le pays étaient, maintenant, en train de faire comme eux.

« A quoi ca sert, maîtresse ? ».

Joker. Exercice suivant.
J’aurais bien répondu que ça sert à vous faire perdre toute la confiance que vous aviez si bien gagnée ces trois dernières semaines. A vous broyer, vous humilier.
Mais ça aurait été sans doute exagéré.

Sans exagérer pourtant, ils en sont sortis abattus, fatigués, démotivés.
Et j’en suis sortie frustrée.
Aucune des réponses inscrites sur ces cahiers, aucun des items que je suis tenue désormais de saisir sur une plateforme aux hébergements douteux, rien de tout ça n’est à l’image de ce dont ils sont capables, de ce qu’ils sont et de ce qu’ils seront ces prochains mois.

Si seulement on ajoutait une page, à la fin de ce cahier.
Une page avec un grand cadre noir.
Là, on y collerait une photo, juste une.
Celle du sourire de D. quand il a réussi à lire la syllabe qui était au tableau.
Ca ne suffit pas ?
A moi, ça me suffit.
Largement.
Amplement.

Parents, mode d’emploi ?

Dans ma REPpublique à moi, il y a des enseignants, évidemment. Des enfants, bien sur, beaucoup d’enfants, essentiellement des enfants. Et puis des parents. Pour le meilleur, le plus drôle parfois, le plus tendre, souvent, le pire, de temps en temps.

Je ne sais pas trop par lesquels il faut que je commence sans avoir l’air de vouloir donner le ton.

Par exemple, si je commence cette chronique en vous parlant de ces parents qui, le jour de la rentrée, ont crié au scandale, squatté 1h30 le bureau de la directrice, menacé de porter plainte, promis d’emmener leur fille voir un psychiatre en urgence, nous ont accusés de maltraitance et assuré (oh non, pas ça !) que si on ne mettait pas leur fille dans la même classe que ses copines, ils la retireraient de « cet endroit ». Si je commence par eux, forcément, vous allez vous dire, elle essaie de nous expliquer que les profs n’aiment pas les parents.

Alors que pas du tout.
On les aime.
On les adore.

Surtout la maman de A. ce soir, devant l’école.
Elle était un peu énervée parce que la maîtresse venait de lui dire que son fils avait raconté aux copains que la mère de Y., elle faisait des « trucs bizarres » à des hommes qu’elle ne connaissait pas. En vrai, il a utilisé des mots un peu, non très très vulgaires, mais je ne vais pas les écrire ici.
La mère de A., quand elle a entendu ça, elle est partie au quart de tour. Pas contre son fils, pas tout de suite, non. Elle a embrayé en nous racontant par le menu, devant l’enfant, tous les détails des fameux « trucs bizarres ». Elle pensait sûrement que si on venait lui parler de ça, c’est qu’on voulait en savoir plus. Pas vraiment. Ceci dit, les autres mamans, devant la grille, ça avait l’air de les intéresser.
Bref, on lui a demandé d’arrêter, on lui a dit qu’on avait compris le principe (à peu près), mais qu’il fallait surtout qu’elle parle à son fils, qu’elle lui explique qu’on ne dit pas ce genre de choses aux copains.
La maman de A. elle a dit « Je peux pas ». Elle « peut pas, parce que si je lui explique, je vais m’énerver et je vais le taper, alors il faut pas. ».

Autre style, autre lexique, autre philosophie : la maman de F.
A 11h45, elle est venue chercher son fils.
Quand il est arrivé, elle lui a demandé de remonter chercher son cartable.
La maîtresse de F. lui a demandé pourquoi, en lui réexpliquant qu’il y avait école cet après-midi.
Avec un aplomb assez impressionnant et le regard légèrement hautain elle a rétorqué « Pas du tout madame, c’est son anniversaire aujourd’hui, il n’est pas question qu’il passe la journée à l’école ». Bouche bée la maîtresse, sa collègue (moi) avec.

Il faudrait peut-être que la maman de F. parle un peu avec la maman de M. Parce que ce soir, quand j’ai remonté le trottoir, je l’ai croisée, assise sur une marche, loin du portail. Il n’y avait pas M. avec elle alors je lui ai demandé si elle l’avait récupéré. Elle m’a répondu qu’il allait à la garderie, qu’elle attendait ici. Je lui ai dit qu’elle pouvait entrer, aller le chercher. Elle a secoué la tête et a dit « 18h30, c’est bien 18h30 ».

La liste est longue et se transforme parfois en poème.
Mais finalement, entre la maman de A., le papa de D., qui fait toujours sauter son fils dans ses bras quand il le récupère, même maintenant qu’il est au CM1, la maman de M., la maman de S., enceinte de son septième enfant, qui a promis à son seul fils qu’elle en ferait un huitième pour que, peut-être, il ait au moins un frère.
Entre toutes ces femmes, tous ces hommes et nous, il y a bien un lien, un truc qui fait qu’on ne peut pas avancer l’un sans l’autre, une sorte de nœud qu’il faut garder serré, tout en sachant parfois le laisser couler.
Ce truc, ce lien, ce nœud, ce sont les enfants, leurs enfants qu’ils nous confient et qu’on essaie, avec eux quand ils l’acceptent, de faire doucement grandir.

Bref, j’enseigne désormais au CP

Dans ma REPpublique à moi, il y a du changement. Enfin, pour moi, et puis un peu pour eux. Enfin, surtout pour moi. Du sacré changement. Ce genre de changement que dès le premier jour, tu te rends compte que c’est du sacré changement.

Quand E. s’est mise à hurler, puis à pleurer, puis à hurler encore, je me disais que c’était à prévoir, qu’ils sont petits, que c’est normal. Quand elle a refusé de lâcher la main de sa maman alors que je leur demandais de monter dans la classe, j’ai commencé à me dire que ce serait peut-être un peu plus différent de ce que j’avais imaginé.

Tout le monde a fini par monter, pas la Maman, heureusement. Ils ont trouvé la classe « crooo bellle », ce qui est faux, elle est vert fluo, c’est un enfer. Ils se sont assis sagement (ou presque) et en observant D. gesticuler sur le banc de manière à la fois frénétique et désordonnée, j’ai respiré un grand coup et me suis répétée, tout aussi frénétiquement : « Ils sont petits, tu vas t’habituer ».

Alors après, il y a eu M. qui a levé le doigt, très déterminé, quand je leur ai demandé si l’un d’entre eux savait quel jour on était. J’ai interrogé M., ravie de cet enthousiasme matinal. Et M., avec un grand sourire, m’a répondu « Mékresse, j’ai pipi pressé kré pressé ». La suite, je vous la donne en mille : ils ont tous, d’un coup, eu « pipi kré pressé. ». La matinée était, de fait, presque terminée.

Entre-temps, il y a eu la récréation. Elles étaient deux ou trois à dandiner sans trop de raison quand je me suis approchée pour voir si elles allaient bien. Il y en a une qui a pris son courage à deux mains et m’a avoué qu’elles n’osaient pas nous demander l’autorisation d’aller faire pipi. « Encoooore ? », n’ai-je pu m’empecher de répondre avant de me reprendre d’un joli et suave « Mais bien sûuuuur » et de terminer ma série de lacets à renouer qui m’attendait juste derrière.

Ils sont revenus cet après-midi. Enfin, pas tous. R. et D. se sont perdus dans les couloirs. Oui, oui, on a fini par les retrouver, mais je crois bien qu’ils ont flippé. On a réussi à faire des ateliers. Quand I. m’a demandé de lui rééxpliquer la consigne du jeu, je lui ai (connement) dit de regarder au tableau où je l’avais (tout aussi connement) écrite. Elle m’a regardée avec un air désemparée, a (presque) failli pleurer, jusqu’à ce que sa copine, L., m’explique assez fermement « On ne sait pas (encore) lire, Mékresse ». Evidemment.

En fin de journée, on a commencé à lire un livre, ensemble. Enfin, je leur ai lu le début d’un livre. Ca parlait de l’Afrique. Alors je leur ai demandé ce que c’était, l’Afrique. R. m’a répondu que c’était un animal, D. un plat et S. un jeu. Je leur ai montré sur la carte, on a regardé des photos sur le Tableau Blanc Interactif et on y a vu des animaux : des « zirafes », des « néléphants », des « tigrrrrrrres », des « zèbes » et même, et même des « cronociroros ». Même que toi, tu ne sais même pas ce que c’est.

Bref, j’enseigne désormais au CP.

Apprendre plus, mieux, et encore

Dans ma REPpublique à moi, comme dans toutes les REPpubliques de France, la rentrée approche. Dingue ce que ce mot inspire. Angoisse et joie. Espoirs et craintes. Mensonges et vérités.

Mais oui, mais oui, les vacances sont finies.
Mais oui, mais oui, les parents sont ravis.
Mais oui, mais oui, les enseignants aussi.

Si si, même qu’on a déjà retrouvé nos copains d’école, ces jours-ci.
C’était un peu vide, l’école, sans eux, mais c’était sympa de se retrouver, de déballer, de découper, de coller, de ranger, de préparer, de prévoir, de recommencer, de discuter, d’en reparler.
De les imaginer, de tout penser pour qu’ils soient contents d’être là, qu’ils aient envie d’y revenir et qu’ils en repartent un peu plus forts, un peu plus heureux, un peu plus riches.

Et eux, alors, en attendant, ils font quoi ?
Ils nous imaginent, eux aussi ?
Ils ont hâte, eux aussi ?

Ils angoissent, peut-être un peu.
Surtout ceux qui vont entrer à la « grande école ».
Les adultes leur en ont parlé tout l’été.
« Le CP ?? Ah mais tu es un grand maintenant ! »
« Le CP ! Ca ne rigole plus là, va falloir s’y mettre ».
« Ta fille entre au CP, je te préviens, tu en as pour une heure de devoirs chaque soir ! »

Mais non, mais non, ne faites pas ça, ne dites pas ça.
Mais non, mais non, l’école ne va pas, tout à coup, devenir triste et difficile.
Mais non, mais non, ils n’ont pas fini de rigoler, de s’amuser, de jouer.

Dites lui qu’il est devenu grand, oui.
Ne lui dites pas que devenir grand, ça veut dire ne plus rire.
Ne lui dites pas qu’entrer à l’école des grands, c’est renoncer à prendre du plaisir.
Dites lui que maintenant qu’il est grand, qu’elle est au CP, elle va pouvoir apprendre encore plus, encore mieux, encore et encore.

Chaque année, chaque rentrée, chaque matin, il y a cette petite phrase qui m’horripile.
Ces quelques mots qui me hérissent le poil, et même le cheveu blanc, avec l’âge. Ils sont tellement faux, tellement insensés, tellement néfastes, même : « Travaille bien ! » et la version du soir, qui arrive parfois avant le bonjour « As-tu bien travaillé ? ».

Non, à l’école, les enfants ne travaillent pas.
Ce sont les enseignants qui travaillent.
A l’école, les enfants jouent, s’amusent et surtout, ils apprennent.
Ils ne travaillent pas « bien » ou « mal ».
Ils apprennent un peu, ou beaucoup, c’est tout.
Et c’est déjà énorme.

Pour cette rentrée, on pourrait faire un truc chouette.
On pourrait juste leur souhaiter, à tous, de s’amuser, de jouer et d’en profiter pour s’enrichir.
Si on leur disait que grâce à l’école, ils seront les plus riches du monde.
Les plus riches d’avoir appris.
Et d’avoir aimé apprendre.

Lettre à S.

Dans ma REPpublique à moi, les vacances ont bien avancé. Encore deux petites semaines et on se retrouvera, tous, un peu inquiets, stressés sans doute. En attendant, on profite encore un peu. On oublie. Et je leur écris.

Salut S.,

J’ai failli commencer cette lettre en te demandant de me pardonner pour le retard. Mais je me dis finalement que toi, tu m’as sans doute déjà oubliée. Et tu as raison. Oublie-moi, oublie-les, oublie-nous, encore quelques semaines, quelques jours.

Oublie donc ces fois où, quand je me promenais dans les rangs pour observer votre travail, vous donner un coup de main si besoin, vous féliciter aussi. Ces fois où, quand je m’approchais de toi, de ton cahier, tu y mettais les deux mains, posées à plat. Tu fermais aussi ton visage, tes yeux, tout.
« Non, maîtresse, j’ai pas fini.
– Ce n’est pas grave S., je venais voir comment tu t’en sortais.
– (Silence). Je n’y arrive pas. »
Et pourtant S., tu savais, tu pouvais, tu aurais du y arriver. Être seule devant ta feuille te paniquait, t’angoissait. Avec la maîtresse debout, juste derrière toi, c’était sans doute bien pire.

Alors moi je voudrais aussi oublier ça. Je voudrais plutôt qu’on se souvienne toutes les deux. Qu’on se souvienne de ce jour où, traînant les pieds, tu es allée jusqu’au tableau. Je te demandais de résoudre, là, devant tout le monde, une multiplication à deux chiffres, seule. J’ai vu cette grimace sur ton joli minois. Et puis je t’ai vue t’appliquer, te concentrer, te déplacer jusqu’aux tables de multiplication affichées un peu plus loin, revenir au tableau, continuer, persévérer, ne pas te laisser perturber par le reste de la classe qui gesticulait, soufflait. Et y arriver. Cette fois-là, et toutes les fois d’après. Oublie le reste, S. et rappelle toi de ça.

Oublie-les aussi, eux, les garçons de la classe. Tes copains, oui je sais. Tes prétendants aussi. Tous, sans exception. Ils étaient tous amoureux de toi. De tes longs cheveux noirs, de ton sourire espiègle et peut-être, aussi, sûrement, de tes compétences en football. Chaque fois, tu étais la seule fille à jouer avec eux, dans la cour. Quand on faisait sport, ils se disputaient tous pour t’avoir dans leur équipe.
Alors oublie tous ces petits papiers interceptés cette année : « Est-ce que tu m’aimes ? », toutes ces conversations, disputes, chamailleries, auxquelles tu ne participais jamais, mais pour lesquelles tu étais concernée.
« Maîtresse, il dit que c’est lui, l’amoureux de S., alors que c’est moi !
– Et S., les garçons, elle en pense quoi ?
– On sait pas. »
Elle en pense qu’elle s’en moque.
Qu’elle veut avoir des copains, c’est tout.

Oublie-nous, S., encore un peu. Profite de Maman, de ta sœur. Je ne te parle pas de Papa parce que je crois que ça ne colle pas trop, entre lui et toi.
« Il s’en fout de moi, quand je vais chez lui maîtresse, il ne me parle même pas, tout le week-end, rien, pas un mot ».
Dis toi que ça changera peut-être, un jour. Peut-être pas.

Oublie tout ça et reviens nous heureuse, reposée, fière et combattante.
Parce que c’est comme ça que tu brilles S.
C’est comme ça que, nous, moi, on ne peut pas t’oublier.

Lettre à D.

Et mes Champions du Monde à moi, alors ? Ils en sont où de leurs vacances ? Ils se reposent, ils révisent, ils se baignent ? Peu importe, ils profitent et ils ont bien raison. Aujourd’hui, c’est à D. que j’écris, mon Hugo Lloris à moi.

Salut D.

Ca va ?
Les vacances sont bonnes ?
J’ai du mal à en douter.
Tu m’as parlé plusieurs fois de ton petit jardin.
Même que Papa, une fois, il a oublié de venir te chercher parce qu’il était en train de « jardiner ». Ca m’a marquée, tu sais, parce qu’il n’y en a pas beaucoup, dans ma REPpublique, des Papa qui jardinent. Parce qu’il y en a peu, des jardins, chez les copains.

Tu sais que j’ai parlé de toi, l’autre jour.
Même que je leur ai dit, à ceux qui lisent par ici, que tu étais mon Hugo Lloris.
Si, si.
Non, rien à voir avec tes qualités de gardien de but. Les autres ne voulaient jamais que tu joues au foot avec eux, dans la cour, « parce que D., maîtresse, il rate tous les ballons ».
Non, mon Hugo Lloris parce que son Papa, à Hugo, il est banquier, comme ta maman.
Parce que Hugo, il avait un jardin aussi, quand il était petit.
Et parce que toi, tu es comme Hugo, tu t’en fous que tes copains ils n’aient pas de jardin et que leur Papa, ils ne soient pas banquiers.

On a passé une chouette année toi et moi D.
Tu te souviens les premières semaines, les premiers mois, quand je t’ai baptisé « ma tortue » ?
Une demie-heure pour écrire la date et la consigne.
On était tous passé à autre chose.
Ca t’a fait rire, un peu, mais pas que.
C’a t’a piqué, surtout.
Alors tu n’as rien dit, mais tu t’es battu.
Comme un Champion du Monde, tu y es arrivé.
Adieu la tortue, voici le lièvre.

Rapide et efficace aussi.
De plus en plus.
« D., relis-toi encore, encadre les verbes, souligne les sujets et tu trouveras tout seul tes erreurs »
Je le disais aux autres, aussi.
Mais toi, tu le faisais, scrupuleusement, rigoureusement.
Et je te voyais sursauter sur ta chaise et dire « Ahhhh ouiiii, là !!!! J’ai trouvé ! »

Bon, il a fallu quelques ajustements D., tu t’en rappelles aussi, je pense.
Parce qu’avec l’autre D. et M., vous étiez tellement copains, que ca dégénérait, des fois.
Les petites bousculades se sont transformés en coups de pied là où ça fait rudement mal, à ce qu’on dit. J’ai bien été obligée d’en parler à tes parents.

Bien oui, parce qu’en plus du jardin, tu as Papa ET Maman.
Ca aussi, il n’y en a pas beaucoup qui peuvent s’en vanter dans ma REPpublique.
Je les ai croisés d’ailleurs, l’autre jour, Papa et Maman.
Main dans la main, ils étaient beaux.

Quand je lui ai rendu le bulletin du deuxième trimestre, Maman m’a dit qu’elle était heureuse que tu sois là, dans cette école, dans cette classe, dans cette REPpublique.
Je lui ai répondu que nous aussi, on était heureux de t’avoir avec nous.

Des petits D., des grands Hugo, on en a besoin, comme des autres.
C’est ensemble que vous êtes beaux.
C’est ensemble que vous êtes vrais.